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Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/313

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INCENDIE D’IÉNA.

avaient été pris, il lui prêta tout l’argent dont il avait besoin, et lui donna des lettres de recommandation pour la France. Quelles réflexions dut faire ce capitaine ! Mais aucune expression ne pourrait peindre le saisissement du vieux sergent-major prussien, en voyant son ancien soldat couvert de décorations, entouré d’un nombreux état-major et commandant un corps d’armée ! Tout cela lui paraissait un rêve ! Le maréchal fut plus expansif avec cet homme qu’il ne l’avait été avec le capitaine ; appelant le sergent par son nom, il lui tendit la main et lui fit donner vingt-cinq louis pour lui et deux pour chacun des soldats qui se trouvaient dans la compagnie à l’époque où il en faisait partie, et qui y étaient encore. Nous trouvâmes cela de fort bon goût.

Le maréchal comptait coucher à Kala, qui n’est qu’à trois lieues d’Iéna, lorsque, à la tombée de la nuit, le 7e corps reçut l’ordre de se rendre sur-le-champ dans cette dernière ville, où l’Empereur venait d’entrer sans coup férir à la tête de sa garde et des troupes du maréchal Lannes.

Les Prussiens avaient abandonné Iéna en silence, mais quelques chandelles oubliées par eux dans les écuries y avaient probablement mis le feu, et l’incendie, se propageant, dévorait une partie de cette malheureuse cité, lorsque le corps du maréchal Augereau y entra vers minuit. C’était un triste spectacle que de voir les habitants, les femmes et les vieillards à demi nus, emportant leurs enfants et cherchant à se soustraire par la fuite au fléau destructeur, tandis que nos soldats, retenus dans les rangs par le devoir et le voisinage de l’ennemi, restaient impassibles, l’arme au bras, comme des gens qui comptent l’incendie pour peu de chose, en comparaison des dangers auxquels ils vont être exposés sous peu.