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Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/314

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MÉMOIRES DU GÉNÉRAL DE MARBOT.

Le quartier de la ville par lequel les Français arrivaient n’était point incendié, les troupes pouvaient circuler facilement, et pendant qu’elles se massaient sur les places et les grandes rues, le maréchal s’établit avec son état-major dans un hôtel d’assez belle apparence. J’y rentrais en revenant de porter un ordre, lorsque des cris perçants se firent entendre dans une maison voisine dont une porte était ouverte. J’y monte à la hâte, et guidé par les cris, je pénètre dans un bel appartement, où j’aperçois deux charmantes filles de dix-huit à vingt ans, en chemise, se débattant contre les entreprises de quatre ou cinq soldats de Hesse-Darmstadt, faisant partie des régiments que le landgrave avait joints aux troupes françaises du 7e corps. Bien que ces hommes, pris de vin, n’entendissent pas un mot de français, et moi fort peu d’allemand, ma présence, mes menaces, leur en imposèrent, et l’habitude d’être bâtonnés par leurs officiers leur fit même recevoir sans mot dire les coups de pied et les horions que, dans mon indignation, je leur distribuai largement, en les jetant au bas de l’escalier ; en quoi je fus peut-être imprudent, car, au milieu de la nuit, et dans une ville où régnait un affreux tumulte, seul, en face de ces hommes, je m’exposais à me faire tuer par eux ; mais ils s’enfuirent, et je plaçai dans une salle basse un peloton de l’escorte du maréchal.

Remonté dans l’appartement où les deux jeunes demoiselles s’étaient vêtues à la hâte, je reçus l’expression de leur chaleureuse reconnaissance. Elles étaient filles d’un professeur de l’Université, qui, s’étant porté avec sa femme et ses domestiques au secours de l’une de leurs sœurs récemment accouchée, dans le quartier incendié, les avait laissées seules, quand les soldats hessois se présentèrent. L’une de ces jeunes filles me dit avec exaltation : « Vous marchez au combat au