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Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/33

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VERT-VERT.

nat pour quelques mois, j’y restai donc au moins pendant quatre ans, qui furent pour moi autant d’années de bonheur, que venait bien obscurcir de temps en temps le souvenir de mes parents ; mais les bonnes dames Mongalvi et leurs pensionnaires redoublaient alors de bonté pour moi et chassaient les pensées qui m’attristaient momentanément.

Lorsque, bien des années après, j’ai lu l’histoire de Vert-Vert vivant au milieu des Visitandines de Nevers, je me suis écrié : « C’est ainsi que j’étais dans le pensionnat de Turenne ! » Comme lui, j’étais gâté au delà de toute expression par les maîtresses et par les pensionnaires. Je n’avais qu’à désirer pour obtenir ; rien n’était assez bon ni assez beau pour moi. Ma santé était redevenue parfaite. J’étais blanc et frais ; aussi c’était à qui m’embrasserait !

Dans les récréations qui avaient lieu dans un très vaste clos où se trouvaient un beau jardin, des prairies, des vignes, des bosquets, les jeunes filles me couronnaient, m’enguirlandaient de fleurs ; puis, me plaçant sur un petit brancard couvert de roses, elles me portaient à tour de rôle en chantant. — D’autres fois je jouais aux barres avec elles, ayant le privilège de toujours prendre sans jamais être pris. Elles me lisaient des histoires, me chantaient des chansons ; enfin c’était à qui chercherait à faire quelque chose pour moi.

Il me souvient qu’en apprenant l’horrible exécution de Louis XVI, Mme Mongalvi fit mettre toute la pension à genoux pour réciter des prières pour le repos de l’âme du malheureux roi. L’indiscrétion de quelqu’un d’entre nous aurait pu lui attirer à cette occasion de grands désagréments, mais toutes ses élèves étaient d’âge à le comprendre, et je sentis qu’il n’en fallait pas parler : on n’en sut rien au dehors de la maison.