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Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/330

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MÉMOIRES DU GÉNÉRAL DE MARBOT.

condition que l’Empereur lui donnerait leurs États. Aussi personne ne regretta l’Électeur, dont le départ précipité donna lieu à un fait remarquable, encore peu connu.

Obligé de quitter Cassel à la hâte pour se réfugier en Angleterre, l’électeur de Hesse, qui passait pour le plus riche capitaliste d’Europe, ne pouvant emporter la totalité de son trésor, fit venir un Juif francfortois, nommé Rothschild, banquier de troisième ordre et peu marquant, mais connu pour la scrupuleuse régularité avec laquelle il pratiquait sa religion, ce qui détermina l’Électeur à lui confier quinze millions en espèces. Les intérêts de cet argent devaient appartenir au banquier, qui ne serait tenu qu’à rendre le capital.

Le palais de Cassel ayant été occupé par nos troupes, les agents du Trésor français y saisirent des valeurs considérables, surtout en tableaux ; mais on n’y trouva pas d’argent monnayé. Il paraissait cependant impossible que, dans sa fuite précipitée, l’Électeur eût enlevé la totalité de son immense fortune. Or, comme, d’après ce qu’on était convenu d’appeler les lois de la guerre, les capitaux et les revenus des valeurs trouvées en pays ennemi appartiennent de droit au vainqueur, on voulut savoir ce qu’était devenu le trésor de Cassel. Les informations prises à ce sujet ayant fait connaître qu’avant son départ l’Électeur avait passé une journée entière avec le Juif Rothschild, une commission impériale se rendit chez celui-ci, dont la caisse et les registres furent minutieusement examinés. Mais ce fut en vain ; on ne trouva aucune trace du dépôt fait par l’Électeur. Les menaces et l’intimidation n’eurent aucun succès, de sorte que la commission, bien persuadée qu’aucun intérêt mondain ne déterminerait un homme aussi religieux que Rothschild à se parjurer, voulut lui déférer le serment. Il refusa de le prêter. Il fut question de l’arrêter,