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Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/339

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INCIDENT.

voir cinquante coups de bâton. En vain ce dragon faisait-il observer qu’étant Français, il ne pouvait être soumis au règlement prussien ; sa qualité de prisonnier rendait sa réclamation nulle. Déjà même on le conduisait vers le chevalet de bois auquel on allait l’attacher, et deux soldats se préparaient à le frapper, lorsque, ayant voulu prendre un livre dans la voiture du maréchal Duroc, qui stationnait sur la place d’armes, j’aperçus Harpin se débattant au milieu des soldats prussiens qui voulaient l’attacher.

Indigné de voir un militaire français prêt à subir la bastonnade, je m’élance vers lui le sabre à la main, en menaçant de tuer le premier qui oserait flétrir du bâton un soldat de mon empereur !… La voiture du maréchal Duroc était gardée par un courrier de Napoléon connu, dans tous les relais de l’Europe, sous le nom de Moustache. Cet homme, doué d’une force herculéenne et d’un courage à toute épreuve, avait accompagné l’Empereur sur vingt champs de bataille. Dès qu’il me vit au milieu des Prussiens, il accourut vers moi, et d’après mon ordre il apporta quatre pistolets chargés qui se trouvaient dans la voiture. Nous dégageâmes Harpin ; je l’armai de deux pistolets, et, le faisant monter dans la voiture, je plaçai Moustache auprès de lui, et déclarai au major de place que cet équipage appartenant à l’Empereur, dont il portait les armes, il devenait pour le dragon français un asile sacré dont j’interdisais l’entrée à tout Prussien, sous peine de recevoir une balle dans la tête, et j’ordonnai à Moustache et à Harpin de faire feu si l’on entrait dans la voiture. Le major de place, me voyant si résolu, abandonna momentanément son prisonnier pour aller prendre des ordres de ses chefs. Alors, laissant Moustache et Harpin, les pistolets au poing, dans la voiture, je me rendis au logement du Roi, et priai l’un de ses aides