Aller au contenu

Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/367

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
347
LE 14e DE LIGNE À EYLAU.

premiers qui m’aperçurent firent comme des chasseurs dans une traque, lorsque, voyant un lièvre, ils s’annoncent mutuellement sa présence par les cris : « À vous ! à vous !… » Mais aucun de ces Cosaques n’essaya de m’arrêter, d’abord à cause de l’extrême rapidité de ma course, et probablement aussi parce qu’étant en très grand nombre, chacun d’eux pensait que je ne pourrais éviter ses camarades placés plus loin. Si bien que j’échappai à tous et parvins au 14e de ligne, sans que moi ni mon excellente jument eussions reçu la moindre égratignure !

Je trouvai le 14e formé en carré sur le haut du monticule ; mais comme les pentes de terrain étaient fort douces, la cavalerie ennemie avait pu exécuter plusieurs charges contre le régiment français, qui, les ayant vigoureusement repoussées, était entouré par un cercle de cadavres de chevaux et de dragons russes, formant une espèce de rempart, qui rendait désormais la position presque inaccessible à la cavalerie, car, malgré l’aide de nos fantassins, j’eus beaucoup de peine à passer par-dessus ce sanglant et affreux retranchement. J’étais enfin dans le carré ! — Depuis la mort du colonel Savary, tué au passage de l’Ukra, le 14e était commandé par un chef de bataillon. Lorsque, au milieu d’une grêle de boulets, je transmis à ce militaire l’ordre de quitter sa position pour tâcher de rejoindre le corps d’armée, il me fit observer que l’artillerie ennemie, tirant depuis une heure sur le 14e lui avait fait éprouver de telles pertes que la poignée de soldats qui lui restait serait infailliblement exterminée si elle descendait en plaine ; qu’il n’aurait d’ailleurs pas le temps de préparer l’exécution de ce mouvement, puisqu’une colonne d’infanterie russe, marchant sur lui, n’était plus qu’à cent pas de nous.