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Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/391

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FRIEDLAND.

aller donner cette bonne nouvelle au maréchal Lannes. Je repris pour sortir de la ville le chemin par lequel j’étais venu et repassai sur la petite place sur laquelle j’avais laissé mon cheval. Elle avait été le théâtre d’un combat des plus sanglants ; on n’y voyait que morts et mourants, au milieu desquels j’aperçus mon cheval entêté, les reins brisés par un boulet et le corps criblé de balles !… Je gagnai donc à pied l’extrémité du faubourg en hâtant le pas, car de tous côtés les maisons embrasées s’écroulaient, et me faisaient craindre d’être englouti sous leurs décombres. Je parvins enfin à sortir de la ville et à gagner les bords de l’étang.

La chaleur du jour, jointe à celle répandue par le feu qui dévorait les rues que je venais de traverser, m’avait mis en nage. J’étouffais, et tombais de fatigue et de besoin, car j’avais passé la nuit à cheval pour venir d’Eylau à Friedland ; j’étais ensuite retourné au galop à Friedland et je n’avais pas mangé depuis la veille. Je me voyais donc avec déplaisir obligé de traverser à pied, sous un soleil brûlant, et au milieu de blés très élevés, l’immense plaine qui me séparait de Posthenen, où j’avais laissé le maréchal Lannes ; mais un heureux hasard vint encore à mon secours. La division de dragons du général Grouchy, ayant eu non loin de là un vif engagement avec l’ennemi, avait, quoique victorieuse, perdu un certain nombre d’hommes, et les colonels, selon l’usage, avaient fait réunir les chevaux des cavaliers tués, menés en main par un détachement qui s’était mis à l’écart. J’aperçus ce piquet, dont chaque dragon conduisait quatre ou cinq chevaux, se diriger vers l’étang pour les faire boire. Je m’adressai à l’officier, qui, embarrassé par tant de chevaux de main, ne demanda pas mieux que de m’en laisser prendre un, que je promis de renvoyer le soir à son régiment. Il me désigna même une excellente