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Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/80

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MÉMOIRES DU GÉNÉRAL DE MARBOT.

nant sans façon sous le bras, vint dans ma chambre, me montra à placer mes effets dans mon portemanteau et me conduisit dans une petite caserne située dans un ancien couvent et occupée par l’escadron du 1er de housards. Mon mentor me fit seller et desseller un joli petit cheval que mon père avait acheté pour moi ; puis il me montra à placer mon manteau et mes armes ; enfin il me fit une démonstration complète, et songea, lorsqu’il m’eut tout expliqué, qu’il était temps d’aller dîner, car mon père, désirant que je mangeasse avec mon mentor, nous avait affecté une haute paye pour cette dépense.

Pertelay me conduisit dans une petite auberge dont la salle était remplie de housards, de grenadiers et de soldats de toutes armes. On nous sert, et l’on place sur la table une énorme bouteille d’un gros vin rouge des plus violents, dont Pertelay me verse une rasade. Nous trinquons. Mon homme vide son verre, et je pose le mien sans le porter à mes lèvres, car je n’avais jamais bu de vin pur, et l’odeur de ce liquide m’était désagréable. J’en fis l’aveu à mon mentor, qui s’écria alors d’une voix de stentor : « Garçon !… apporte une limonade à ce garçon qui ne boit jamais de vin !… » Et de grands éclats de rire retentissent dans toute la salle !… Je fus très mortifié, mais je ne pus me résoudre à goûter de ce vin et n’osai cependant demander de l’eau : je dînai donc sans boire !…

L’apprentissage de la vie de soldat est fort dur en tout temps. Il l’était surtout à l’époque dont je parle. J’eus donc quelques pénibles moments à passer. Mais ce qui me parut intolérable fut l’obligation de coucher avec un autre housard, car le règlement n’accordait alors qu’un lit pour deux soldats. Seuls, les sous-officiers couchaient isolément. La première huit que je passai à la caserne, je venais de me coucher, lorsqu’un grand