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Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/82

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MÉMOIRES DU GÉNÉRAL DE MARBOT.

physiques imposées par la nature, tous les cavaliers devaient se ressembler par leur tenue, et comme les régiments de housards portaient alors non seulement une queue, mais encore de longues tresses en cadenettes sur les tempes, et avaient des moustaches retroussées, on exigeait que tout ce qui appartenait au corps eût moustaches, queue et tresses. Or, comme je n’avais rien de tout cela, mon mentor me conduisit chez le perruquier de l’escadron, où je fis emplette d’une fausse queue et de cadenettes qu’on attacha à mes cheveux déjà passablement longs, car je les avais laissés pousser depuis mon enrôlement. Cet accoutrement m’embarrassa d’abord ; cependant je m’y habituai en peu de jours, et il me plaisait, parce que je me figurais qu’il me donnait l’air d’un vieux housard ; mais il n’en fut pas de même des moustaches : je n’en avais pas plus qu’une jeune fille, et comme une figure imberbe aurait déparé les rangs de l’escadron, Pertelay, se conformant à l’usage de Bercheny, prit un pot de cire noire et me fit avec le pouce deux énormes crocs qui, couvrant la lèvre supérieure, me montaient presque jusqu’aux yeux. Et comme à cette époque les shakos n’avaient pas de visière, il arrivait que pendant les revues, ou lorsque j’étais en vedette, positions dans lesquelles on doit garder une immobilité complète, le soleil d’Italie, dardant ses rayons brûlants sur ma figure, pompait les parties humides de la cire avec laquelle on m’avait fait des moustaches, et cette cire en se desséchant tirait mon épiderme d’une façon très désagréable ! cependant je ne sourcillais pas ! J’étais housard ! Ce mot avait pour moi quelque chose de magique ; d’ailleurs, embrassant la carrière militaire, j’avais fort bien compris que mon premier devoir était de me conformer aux règlements.