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Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/83

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AUX HOUSARDS DE BERCHENY.

Mon père et une partie de sa division étaient encore à Nice lorsqu’on apprit les événements du 18 brumaire, le renversement du Directoire et l’établissement du Consulat. Mon père avait trop méprisé le Directoire pour le regretter, mais il craignait qu’enivré par le pouvoir, le général Bonaparte, après avoir rétabli l’ordre en France, ne se bornât pas au modeste titre de Consul, et il nous prédit que dans peu de temps il voudrait se faire roi. Mon père ne se trompa que de titre ; Napoléon se fit empereur quatre ans après.

Quelles que fussent ses prévisions pour l’avenir, mon père se félicitait de ne pas s’être trouvé à Paris au 18 brumaire, et je crois que s’il y eût été, il se serait fortement opposé à l’entreprise du général Bonaparte. Mais à l’armée, à la tête d’une division placée devant l’ennemi, il voulut se renfermer dans l’obéissance passive du militaire. Il repoussa donc les propositions que lui firent plusieurs généraux et colonels de marcher sur Paris à la tête de leurs troupes : « Qui, leur dit-il, défendra les frontières si nous les abandonnons, et que deviendra la France si à la guerre contre les étrangers nous joignons les calamités d’une guerre civile ? » Par ces sages observations, il maintint les esprits exaltés ; cependant, il n’en fut pas moins très affecté du coup d’État qui venait d’avoir lieu. Il idolâtrait sa patrie, et eût voulu qu’on pût la sauver sans l’asservir au joug d’un maître.

J’ai dit qu’en me faisant faire le service de simple housard, mon père avait eu pour but principal de me faire perdre cet air d’écolier un peu niais, dont le court séjour que j’avais fait dans le monde parisien ne m’avait pas débarrassé. Le résultat passa ses espérances, car vivant au milieu des housards tapageurs, et ayant pour mentor une espèce de pandour qui riait des sottises que