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Page:Mémoires du Baron de Marbot - tome 1.djvu/96

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MÉMOIRES DU GÉNÉRAL DE MARBOT.

Je me souvins alors d’avoir lu dans le Parfait partisan, dont mon père m’avait donné un exemplaire, que pour faire parler les habitants du pays qu’on parcourt à la guerre, il faut quelquefois les effrayer. Je grossis donc ma voix, et, tâchant de donner à ma figure juvénile un air farouche, je m’écriai : « Comment, coquin, tu viens de traverser un pays occupé par un gros corps d’armée autrichienne, et tu prétends n’avoir rien vu ?… Tu es un espion !… Allons, qu’on le fusille à l’instant ! »

Je fais mettre pied à terre à quatre housards, en leur faisant signe de ne faire aucun mal à cet homme, qui, se voyant saisi par les cavaliers dont les carabines venaient d’être armées devant lui, fut pris d’une telle frayeur, qu’il me jura de dire tout ce qu’il savait. Il était domestique d’un couvent, on l’avait chargé de porter une lettre aux parents du prieur, en lui recommandant, s’il rencontrait les Français, de ne pas leur dire où étaient les Autrichiens ; mais puisqu’il était forcé de tout avouer, il nous déclara qu’il y avait à une lieue de nous plusieurs régiments ennemis cantonnés dans les villages, et qu’une centaine de housards de Barco se trouvaient dans un hameau que nous apercevions à une très petite distance. Questionné sur la manière dont ces housards se gardaient, le paysan répondit qu’ils avaient en avant des maisons une grand’garde composée d’une douzaine d’hommes à pied, placés dans un jardin entouré de haies, et qu’au moment où il avait traversé le hameau, le reste des housards se préparait à conduire les chevaux à l’abreuvoir, dans un petit étang situé de l’autre côté des habitations.

Après avoir entendu ces renseignements, je pris à l’instant ma résolution, qui fut d’éviter de passer devant la grand’garde qui, se trouvant retranchée derrière les haies, ne pouvait être attaquée par des cavaliers, tandis