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Marcel Sembat
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mandant les interrogeait et, tout aussitôt, leur coupait la parole.

— Qu’avez-vous à dire ?

— Taisez-vous !

C’eût été comique sans l’affreuse tragédie qui se préparait. Vraiment, celui qui n’a pas assisté à une séance de cour martiale ne peut s’imaginer ce que ça peut être. Il faut avoir vu la scène du conseil de guerre dans le Serviteur du Diable, de Bernard Shaw, pour mesurer approximativement la stupidité des juges militaires.

Neuf des « révoltés », sur vingt-sept, furent condamnés à mort. C’étaient : Chapiro, Timauxian, Pallo, Alphaud, Nicolaeif, Petroff, Brondeck, Dickmann, Artomachine. Les autres récoltaient des années de travaux publics.

Dans la cour de la mairie je pus dire quelques mots rapides à Timauxian entre ses deux gardes du corps. Avec une sorte de stupeur douloureuse dans le regard, il me confia qu’il n’aurait jamais cru des officiers français capables de tels crimes ; qu’il les imaginait tout à fait différents des brutes de la Légion. Hélas ! Il ajoutait qu’on ne les fusillerait certainement pas, qu’on n’oserait pas et que, lui, d’ailleurs, avait expédié un télégramme à Paris et qu’on verrait bien. Confiance stérile. Le lendemain, on rassemblait les soldats du 43e. C’était le matin. À quelques-uns, nous nous étions fit porter malades pour pouvoir suivre, le plus près possible, le drame. Je filai à travers bois, me dissimulant derrière une rangée de sapins et de chênes qui dominaient une assez vaste clairière. Je vois encore les lieux comme si j’y étais. Les soldats arrivèrent lentement, débouchant d’un étroit chemin ; ils se placèrent à droite et à gauche de la clairière. Au milieu, on mit des gendarmes.

Dans le fond et sur ma gauche, une petite butte sur