Page:Méric - À travers la jungle politique et littéraire, 2e série, 1931.djvu/140

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laquelle on conduisit les prisonniers, un à un. On les fit ranger tous les neuf, face aux deux compagnies de soldats. Un silence impressionnant s’établit. Et, soudain, on entendit :

— Au revoir, les Français !… Au revoir, les camarades !… Vive la France.

L’un des condamnés cria :

— À bas les Français !

La voix de Timauxian, que je reconnus distinctement, s’éleva alors :

— Non… non… Vive la France tout de même !

Parmi les neuf, tous gardèrent une attitude superbe. Un seul pleurait et pressait entre ses doigts crispés on ne savait quel objet.

La fusillade, sèchement, retentit. Un adjudant grimpa sur la butte et donna à chacun des cadavres le coup de grâce. Quand il se pencha vers Chapiro, celui qu’on avait vu pleurer, il eut une exclamation de surprise :

— Tiens ! Qu’est-ce qu’il a donc entre les pattes ?

Ce qu’il avait, ce qu’il pressait obstinément entre ses doigts, c’était une photographie représentant deux petits enfants, ses gosses, sa famille ! C’était sur eux qu’il pleurait, non sur lui.

On les enterra là, sur place. Longtemps, on put lire des inscriptions portant les noms des fusillés et les dates de leur mort. Peu à peu, la pluie, les orages effacèrent tout. La dernière fois que je passais à Pévy, c’était après la dernière invasion et le dernier recul des Allemands. Il n’y avait plus rien. La terre, labourée par les obus, creusée, ravinée, ne contenait peut-être pas non plus les ossements des victimes.

N’importe, il y a, à un kilomètre de la commune de Pévy, en contre-bas de la route qui file vers Cormicy, une clairière dans un bois qui dévale en pente, où le soleil