Page:Méric - À travers la jungle politique littéraire, 1930.djvu/106

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Édouard dut se résigner comme les autres. Je l’avais perdu de vue depuis des années. Un soir, je l’aperçus, boulevard Saint-Michel, dans une file d’hommes-sandwich. Il était toujours le même, barbe confuse et jambe en retard, avec ses yeux de mystique roublard ! Une autre fois, je le repérai, au Père-Lachaise, lors d’un anniversaire de la Semaine sanglante. Il offrait de rouges églantines aux manifestants. L’églantine, c’est aussi une industrie ; mais ça ne fait pas vivre son homme.

Aujourd’hui, Édouard a disparu. On ne rencontre plus sa silhouette courbée et traînante. L’autre semaine, je me suis risqué dans ce vieux quartier — notre berceau — qui tient entre l’Odéon et l’Institut, avec ses maisons lépreuses aux immenses croisées, ses hôtels borgnes, toute sa crasse et son parfum spécial. Je suis tombé sur un vieux de la vieille, Pascal, petit homme à lunettes, fils de sculpteur, peintre et sculpteur lui-même.

— Ah ! ça ! que deviens-tu ?

— Moi, dit Pascal, je tiens un cabaret-chantant et je joue du piano.

— Ah !… Et, dis-moi… Un tel ?

— Mort !

— Et le grand… Chose… tu sais ?

— Mort !

— Et cet autre qui était si drôle ?

— Ah ! celui-là… Marié, père de famille, représentant de commerce.

— Ah ! bah !… Et Machin ?

— Au « Petit Parisien ».