Page:Mérimée - Carmen.djvu/219

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par des causes… par une cause… » Il s’embarrassait et ne pouvait achever. Moi, je pris mon grand courage. « Gageons, lui dis-je, que certain bouquet que j’ai vu était pour quelque chose dans cette détermination-là. » À peine l’impertinente question était-elle lâchée, que je me mordais la langue pour l’avoir poussé de la sorte ; mais il n’était plus temps. « Eh bien, oui, madame, c’est vrai ; je vous dirai tout cela, mais pas à présent… une autre fois. Voici l’Angélus qui va sonner. » Et il était parti avant le premier coup de cloche. Je m’attendais à quelque histoire terrible. Il revint le lendemain, et ce fut lui qui reprit notre conversation de la veille. Il m’avoua qu’il avait aimé une jeune personne de N… ; mais elle avait un peu de fortune, et lui, étudiant, n’avait d’autre ressource que son esprit… Il lui dit : « Je pars pour Paris, où j’espère obtenir une place ; mais vous, pendant que je travaillerai jour et nuit pour me rendre digne de vous, ne m’oublierez-vous pas ? » La jeune personne avait seize ou dix-sept ans et était fort romanesque. Elle lui donna son bouquet en signe de sa foi. Un an après, il apprenait son mariage avec le notaire de N…, précisément comme il allait avoir une chaire dans un collége. Ce coup l’accabla, il renonça à suivre le concours. Il dit que pendant des années il n’a