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L’INSPECTEUR GÉNÉRAL

Le Directeur.

Pas du tout. Je l’ai appris par cette lettre.

Le Gouverneur.

Qu’est-ce que vous dites ? qu’est-ce que vous dites ? Quelle lettre ?

Le Directeur.

Oui, une lettre qu’il a écrite. On m’apporte une lettre pour la poste. Je regarde l’adresse et je vois : À Petersbourg, rue de la Poste. Je reste stupéfait. Bon, que je me dis, il a trouvé quelque chose à dire dans le service, et il en prévient l’autorité supérieure. — Je la prends et je la décachette…

Le Gouverneur.

Comment ! vous…

Le Directeur.

Moi-même, je ne sais pas comment j’ai fait. C’est une force surnaturelle qui m’a soutenu. J’allais faire partir une estafette pour la porter… mais la curiosité s’était emparée de moi à un point que je n’ai jamais rien senti de pareil. Impossible, impossible, cela ne se peut pas, mais une tentation, une démangeaison… Il me semblait entendre une voix dans une oreille : — Ne décachette pas ! tu te perds. Tu es flambé. Dans l’autre oreille, je ne sais quel diable me souffle : Décachette, décachette, décachette ! Si bien qu’en touchant la cire… je sentais du feu dans mes veines… et en décachetant, de la glace, oui, de la glace. Mes mains tremblaient et tout se brouillait à mes yeux.

Le Gouverneur.

Comment avez-vous bien eu l’audace de décacheter la lettre d’un personnage si puissant !

Le Directeur.

Eh ! le bon, c’est qu’il n’est pas puissant, et que ce n’est pas un personnage.