Page:Mérimée - Théâtre de Clara Gazul, 1857.djvu/192

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mort quand ils sont malheureux;moi, j'ai voulu mourir, mais la mort n'a pas voulu de moi.
FRAY EUGENIO : Que dites-vous ?
DONAMARIA : Vous avez entendu dire peut-être qu'il y a quinze jours j'ai manqué d'être tuéepar un taureau furieux; eh bien ! c’est volontairement que je me suis placée devant ce taureau; ilest venu à.moi... si près, que j'ai senti sur ma joue le souffle de ses naseaux... et je ne saispourquoi il ne m'a point fait de mal.
FRAY EUGENIO : Si ce que vous dites est vrai...
DONAMARIA, fièrement : Vrai ! Croyez-vous que je sache mentir?
FRAY EUGENIO : Vous auriez fait une grande folie et un grand péché. Vous êtes à l'âge le plusheureux de la vie; vous surtout, dona Maria, vous avez tout ce que vous pouvez désirer; vous êtesorpheline, mais vous avez un oncle puissant et riche; vous possédez en propre une fortuneconsidérable. Dans un an d'ici, votre oncle viendra vous chercher pour vous mener en Espagne;vous serez présentée à la cour; vous ferez un beau mariage.
DONAMARIA : Me marier ! ô ciel !
FRAY EUGENIO : Au lieu de vous abandonner à cette mélancolie ridicule, vous devriezremercier Dieu des faveurs dont il vous a comblée. (À part.) J'en parlerai au médecin.
DONAMARIA, avec force : Encore une fois, Fray Eugenio, vous ne me connaissez pas.
Ils se regardent fixement tous deux pendant un instant, puis baissent les yeux aussitôt.
FRAY EUGENIO, tirant sa montre : Je suppose, dona Maria, que vous avez quelque confidenceà me faire. Si mes conseils peuvent vous être utiles, je serai heureux de vous les donner. Demainje serai dans mon confessionnal depuis midi jusqu'à deux heures; préparez-vous, dans l'intervalle,par des exercices de piété. Il faut que je vous quitte; madame la supérieure m'attend pour prendrele chocolat.
DONAMARIA : Vous me mépriserez, je le crains, car vous êtes homme et prêtre.
FRAY EUGENIO : Dona Mariquita, ou je me trompe fort, ou quelque amourette a tourné cettepetite tête-là.