Page:Mérimée - Théâtre de Clara Gazul, 1857.djvu/191

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DONAMARIA : Malade! non... Je suis bien malheureuse.
FRAY EUGENIO : Est-ce que Loretto, votre perroquet, serait mort ?
DONAMARIA : Ah ! que vous me connaissez mal, Fray Eugenio : vous me croyez une enfant !
FRAY EUGENIO : Une enfant ! Dieu m'en garde ! 'une grande demoiselle qui va bientôt avoirquinze ans.
DONAMARIA, gravement : Et à quinze ans ne peut-on pas souffrir comme à trente ?
FRAY EUGENIO : Pardon, de ma méchante plaisanterie, mademoiselle; votre sérieux m'effraie àla fin. Je crains que vous n'ayez reçu de mauvaises nouvelles d'Espagne; j'espère que monsieurvotre oncle, le général, est toujours en bonne santé ?
DONAMARIA : Je le crois. —Tout le mal que je souffre vient de moi. Ah ! Fray Eugenio, queje voudrais être un homme ! —Je voudrais être morte.
FRAY EUGENIO : Allons donc ! c'est pour le coup que je vais vous croire une enfant. Guérissezvousdonc de ces idées ridicules; vous les avez prises, je le gage, dans des livres que vous n'auriezpas dû lire. —Quel est ce livre-là ?
DONAMARIA : Vous le voyez, c'est L’Imitation de jésus-Christ que vous m'avez donnée. Je n'aipas passé un jour sans la lire; j'y cherche de la force, et je n'en trouve pas. —Je n'ai jamais lu deromans, Fray Eugenio, mais j'ai une âme, un coeur... je vis... je pense... et... Oh ! c'est pour celaque je voudrais mourir.
FRAY EUGENIO, à part : La petite personne a quelque amourette en tête; elles sont terriblespour cela dans ce couvent. (Haut.) Eh bien ! mon enfant, vous me conterez cela un de ces jours;je n'ai pas le temps de vous exhorter et de vous gronder d'importance, comme vous le méritez. —Oui, vous méritez bien que l'on vous gronde pour toutes ces folies. Vous que je croyais plusraisonnable que la plupart de vos compagnes... fi donc ! dona Maria. Maintenant il paraît quec'est une espèce de mode que de vouloir mourir. Je n'entends que des plaintes de la vie que fontdes enfants de votre âge.
DONAMARIA : Des enfants ! Des enfants peuvent désirer la