Page:Mérimée - Théâtre de Clara Gazul, 1857.djvu/201

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DONAFRANCISCA : Oh ! oui; je n'ai plus de voeux à former, sinon pour rester longtempscomme je suis maintenant. —Mais, Mariquita, mon bonheur m'étouffe, et il faut que je t'en fassela confidence, quoique à ta petite mine renfrognée je juge que tu n'es guère en humeur dem'écouter. Tu es ma meilleure amie, et c'est une des charges de l'amitié d'écouter les récits desplaisirs et des peines de son amie. —On te croit ici une enfant, parce que tu es la plus jeune denous autres grandes ; mais tu es si sage, si raisonnable, si... (Elle l'embrasse.) Tiens, je t'aime tantque je ne veux m'ouvrir qu'à toi seule.
DONAMARIA, soupirant : Je t'écoute, puisque tu le veux. (A part.) Peut-être ainsi contrainte, letemps s'écoulera-t-il plus vite pour moi.
DONAFRANCISCA : Eh bien ! (S'interrompant.) Sais-tu que tu es si grave que tu m'intimides...Ne me regarde pas avec ces yeux-là. Et... tu ne me gronderas pas, petite fille. Respect à ses aînées!... Mariquita, j'aime, et je suis aimée. (Dona Maria lui serre la main.) Et quoi ! à ton tour, voilàque tu as des larmes dans les yeux. Ah ! mademoiselle, je vous y prends ! Quoi ! vous aussi ! Quil'aurait pu penser ? « II n'y a plus d'enfants », comme dit la supérieure. Ces larmes me prouventque ce petit coeur a déjà parlé. Allons, est-ce un capitaine de dragons ? un officier de marine ?
DONAMARIA : Personne, je t'assure. Souffrante comme je le suis, mes yeux sont disposés àpleurer facilement, et ce n'est pas une raison... (Dona Francisca la menace du doigt.) Non, je tejure... Mais on dit que l'amour rend si malheureux,... et je crains pour toi, Paquita.
DONAFRANCISCA, souriant : Et qui t'a dit cela, petite ?
DONAMARIA : Qui ? tout le monde... madame la supérieure... notre confesseur.
DONAFRANCISCA : Fray Eugénie ! Et tu crois qu'il dit vrai ?
DONAMARIA : Ils me parlent de ce que je ne connais pas... et je les crois.
DONAFRANCISCA : Enfant ! Apprends, ma chère, qu'on te trompe; que l'amour, c'est lepremier de tous les biens; que sans amour la vie n'est qu'un enfer. Mademoiselle Mariquita, vousm'