Page:Mérimée - Théâtre de Clara Gazul, 1857.djvu/213

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plaisirs, vous vous seriez préparé des années deregrets et de remords.
DONAMARIA : Fray Eugenio, pourquoi ne vous êtes-vous pas souvenu de toutes ces bellesréflexions quand vous avez parlé d'amour à Francisca ?
FRAY EUGENIO : Francisca ! que voulez-vous dire ?
DONAMARIA : Francisca m'a tout dit, Fray Eugenio. J'ai à me plaindre de vous : j'ai étéfranche, trop franche avec vous, et vous êtes hypocrite avec moi.
FRAY EUGENIO : Ah ! gardez-vous de croire...
DONAMARIA : Et c'est dans ce jardin, sous cet oranger, que vous parlez en prêtre ! Pourquoi neme dites-vous pas : « J'aime Francisca ? » Cela aurait été d'un galant homme.
FRAY EUGENIO : Je suis confondu ! Oui, mademoiselle, vous êtes maîtresse de notre secret, etvous pouvez nous perdre si vous le voulez.
DONAMARIA : Ah ! Fray Eugenio, qu'ai-je donc fait pour que vous me soupçonniez d'une tellebassesse ?
FRAY EUGENIO : J'ai tort, je l'avoue, mademoiselle; mais je dois vous paraître si coupable... jele suis tant en effet !... Je savais à quels dangers j'exposais votre amie; mais, croyez-moi, j'aicombattu longtemps cette passion funeste, et si j'ai cédé...
DONAMARIA : Vous n'avez pas besoin de vous justifier auprès de moi; je vous comprends et jevous approuve. Il est un moyen de vous soustraire à ces dangers; j'en parlais tout à l'heure àFrancisca... Il faut fuir dans un pays où vous pourrez vous marier.
FRAY EUGENIO : Ah ! je le désire, mais...
DONAMARIA : Tout cela est facile avec de l'argent. Je puis en prêter à dona Francisca; vivezheureux avec elle.
FRAY EUGENIO : Tant de générosité m'accable et m'humilie...
DONAMARIA : Adieu, Fray Eugenio. (Souriant.) Vous concevez que maintenant votreconversation n'a plus tant de charmes pour moi; ainsi, séparons-nous.
FRAY EUGENIO : Croyez que ma reconnaissance...
DONAMARIA : Adieu.
FRAY EUGENIO : Permettez-moi... (Il veut lui baiser la main.)