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SCENE II

La cellule d’Antonio, on y voit une Madone peinte


ANTONIO, seul, se promenant à grands pas. — C’en est fait !… tout est fini… je suis perdu… damné !… J’aurais forniqué avec elle que je ne serais pas plus réprouvé !… Je ne puis plus prier. — D’ailleurs, à quoi bon… maintenant ? Je ne prierai plus ! Je suis damné… tant mieux ! mais en attendant… Maria Mariquita ! je ne veux plus penser qu’à toi ! je veux que nos deux âmes n’en fassent qu’une ! (Une pause). — Eh quoi ! je sacrifierais mon salut éternel à une femme, peut-être à un ange déchu, au tentateur ?… Trente années de prières, de mortifications seront perdues !… Si j’avais vécu dans le monde… je serais damné de même… j’ai mené une vie misérable… pour être damné !… (Une pause). Je la vois toujours (Il met la main devant ses yeux. Une pause. Il s’agenouille devant la Madone). Sainte mère de Dieu, prends pitié de moi !… je suis… un… C’est elle-même, trait pour trait… ses yeux noirs ! O Mariquita ! (Il fait un mouvement pour saisir le tableau. — Reculant avec effroi). Dieu ! tes yeux lancent des éclairs. Tu me reproches mon sacrilège !… irai-je ? Non, tu ne seras point témoin de mon péché. Va ! (Il retourne le tableau contre la muraille. Pause). Si, rendu au monde, abjurant mes vœux… Mais pourquoi entretenir de semblables pensées ? Je quitterai cet habit, oui ; je le profane ! mais c’est à la Trappe que j’irai… on y meurt vite, dit-on, c’est ce qu’il me faut !… Je mourrai en prononçant son nom. Mais pourquoi mourir ?… pourquoi m’imposer une si rude pénitence ? Qu’ai-je fait, après tout ? Ne sommes-nous pas assez malheureux ici-bas, sans que la haire et la discipline ajoutent encore à nos souffrances ?… Ne puis-je donc ?… Il y a eu des saints qui avaient des épouses, des enfants… Je veux me marier, avoir des enfants, être un bon père de famille. Tu en as menti, Satan, ce n’est pas pour cela que tu m’emporteras ! J’élèverai une famille pieuse, et cela sera aussi agréable à Dieu que la fumée de nos bûchers… Insensé, n’ai-je pas juré de renoncer au monde ?