Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/253

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CHAPITRE IV.


I. L’esprit ne peut s’appliquer long-temps à des objets qui n’ont point de rapport à lui, ou qui ne tiennent point quelque chose de l’infíni. — II. l’inconstance de la volonté est cause de ce défaut d’application. et par conséquent de l’erreur — III. Nos sensations nous occupent davantnge que les idées pures de l’esprit. — IV. Ce qui est la source de la corruption des mœurs. — V. Et de l’ignorance du commun des hommes.


I. L’esprit de l’homme n’est pas seulement sujet à l’erreur parce qu’il n’est pas infini ou qu’il a moins d’étendue que les objets qu’il considère, comme nous venons d’expliquer dans les deux chapitres précédents ; mais aussi parce qu’il est inconstant, qu’il n’a point du fermeté dans son action, et qu’il ne peut tenir assez longtemps sa vue fixe et arrêtée sur un sujet, afin de l’examiner tout entier.

Pour concevoir la cause de cette inconstance et de cette légèreté de l’esprit humain, il faut savoir que c’est la volonté qui dirige son action, que c’est elle qui l’applique aux objets qu’elle aime, et qu’elle est elle-même dans une inconstance et dans une inquiétude continuelle, dont voici la cause.

On ne peut douter que Dieu ne soit l’auteur de toutes choses, qu’il ne les ait faites pour lui, et qu’il ne tourne le cœur de l’homme vers lui par une impression naturelle et invincible qu’il lui imprime sans cesse. Dieu ne peut vouloir qu’il yait une volonté qui ne l’aime pas, ou qui l’aime moins que quelque autre bien, s’il y en peut avoir d’autre que lui ; parce qu’il ne petit vouloir qu’une volonté n’aime point ce qui est souverainement aimable, ni qu’elle aime le plus ce qui est le moins aimable. Ainsi il faut que l’amour naturel nous porte vers Dieu, puisqu’il vient de Dieu, et qu’il n’y a rien qui puisse en arrêter les mouvements que Dieu même, qui les imprime. Il n’y a donc point de volonté qui ne suive nécessairement. les mouvements de cet amour. Les Justes, les impies, les bienheureux et les damnés aiment Dieu de cet amour ; car cet amour naturel que nous avons pour Dieu étant la même chose que l’inclination naturelle qui nous porte vers le bien en général, vers le bien infini, vers le souverain bien, il est visible que tous les esprits aiment Dieu de cet amour, puisqu’il n’y a que lui qui soit le bien universel, le bien infini, le souverain bien. Car enfin tous les esprits et les démons mêmes désirent ardemment d’être heureux et de posséder le souverain bien : et ils le désirent sans choix, sans délibération, sans liberté, et par la nécessité de leur nature. Étant donc faits pour Dieu. pour un bien infini, pour un bien qui comprend en