Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/254

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soi tous les biens, le mouvement naturel de notre cœur ne cessera jamais que par la possession de ce bien.

II. Ainsi notre volonté toujours altérée d’une soif ardente, toujours agitée de désirs, d’empressements et d’inquiétudes pour un bien qu’elle ne possède pas, ne peut souffrir sans beaucoup de peine que l’esprit s’arrête pour quelque temps à des vérités abstraites qui ne la touchent point et qu’elle juge incapables de la rendre heureuse. Ainsi elle le pousse sans cesse à rechercher d’autres objets ; et lorsque dans cette agitation que la volonté lui communique il rencontre quelque objet qui porte la marque du bien, je veux dire qui fait sentir à l’âme par ses approches quelque douceur et quelque satisfaction intérieure ; alors cette soif du cœur s’excite de nouveau ; ces désirs, ces empressements, ces ardeurs se rallument, et l’esprit, obligé de leur obéir, s’attache uniquement à l’objet qui les cause ou qui semble les causer, pour l’approcher ainsi de l’âme qui le goûte et qui s’en repait pour quelque temps. Mais le vide des créatures ne pouvant remplir la capacité infinie du cœur de l’homme, ces petits plaisirs au lieu d’éteindre sa soif ne font que l’irriter et donner à l’âme une sotte et vaine espérance de se satisfaire dans la multiplicité des plaisirs de la terre ; ce qui produit encore une inconstance et une légèreté inconcevable dans l’esprit qui doit lui découvrir tous ces biens.

Il est vrai que lorsque l’esprit rencontre par hasard, quelque objet qui tient de l’infini, ou qui renferme en soi quelque chose de grand, son inconstance et son agitation cessent pour quelque temps ; car reconnaissant que cet objet porte le caractère de celui que l’âme désire, il s’y arrête et s’y attache assez long-temps. Mais cette attache, ou plutôt cette opiniâtreté de l’esprit à examiner des sujets infinis ou trop vastes, lui est aussi inutile que cette légèreté avec laquelle il considère ceux qui sont proportionnés à sa capacité. Il est trop faible pour venir à bout d’une entreprise si difficile, et c’est en vain qu’il s’efforce d’y réussir. Ce qui doit rendre l’âme heureuse n’est pas, pour ainsi dire, la compréhension d’un objet infini, elle n’en est pas capable ; mais l’amour et la jouissance d’un bien infini dont la volonté est capable par le mouvement d’amour que Dieu lui imprime sans cesse.

Après cela il ne faut pas s’étonner de l’ignorance et de l’aveuglement des hommes, puisque leur esprit étant soumis à l’inconstance et à la légèreté de leur cœur, qui le rend incapable de rien considérer avec une application sérieuse, il ne peut rien pénétrer qui renferme quelque difficulté considérable. Car enfin l’attention de l’esprit est aux objets de l’esprit ce que le regard fixe de nos