Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/335

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pitent les hommes dans l’abíme de la perdition et de la damnation ; car la cupidité est la racine de tous les maux.

Que si nous ne devons pas nous porter à la recherche des biens de la terre qui nous sont nouveaux, parce que nous sommes assurés que nous n’y trouverons pas le bonheur que nous cherchons, nous ne devons pas aussi avoir le moindre désir de savoir les opinions nouvelles sur un très-grand nombre de questions difficiles, parce que nous savons d’ailleurs que l’esprit de l’homme n’en saurait découvrir la vérité. La plupart des questions que l’on traite dans la morale et principalement dans la physique sont de cette nature, et nous devons, par cette raison, nous défier beaucoup des livres que l’on compose tous les jours sur ces matières très-obscures et très-embarrassées. Car, quoique absolument parlant, les questions qu’ils contiennent se puissent résoudre, cependant il y a encore si peu de vérités découvertes et il y en a tant d’autres à savoir avant que de venir à celles dont traitent ces livres, qu’on peut ne les pas lire sans se hasarder de perdre beaucoup.

Cependant ce n’est pas ainsi que les hommes se conduisent, ils font tout le contraire. Ils n’examinent point si ce qu’on leur dit est possible. Il n’y a qu’à leur promettre des choses extraordinaires, comme la réparation de la chaleur naturelle, de l’humíde radical, des esprits vitaux, ou d’autres choses qu’ils n’entendent point, pour exciter leur vaine curiosité et pour les préoccuper. Il suffit pour les éblouir et pour les gagner de leur proposer des paradoxes ; de se servir de paroles obscures, de termes d’influences, de l’autorité de quelques auteurs inconnus, ou bien de faire quelque expérience fort sensible et fort extraordinaire, quoiqu’elle n’ait même aucun rapport à ce qu’on avance, car il suffit de les étourdir pour les convaincre.

Si un médecin, un chirurgien, un empirique citent des passages grecs et latins et se servent de termes nouveaux et extraordinaires pour ceux qui les écoutent, ce sont de grands hommes. On leur donne droit de vie et de mort ; on les croit comme des oracles ; ils s’imaginent eux-mêmes qu’ils sont bien au-dessus du commun des hommes et qu’ils pénètrent le fond des choses ; et si l’on est assez indiscret pour témoigner qu’on ne prend pas pour raison cinq ou six mots qui ne signifient et qui ne prouvent rien, ils s’imaginent qu’on n’a pas le sens commun et que l’on nie les premiers principes. En effet, les premiers principes de ces gens-là sont cinq ou mots latins d’un auteur, ou bien quelque passage grec s’ils sont plus habiles.

Il est même nécessaire que les savants médecins parlent quel-