Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/336

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quefois une langue que leurs malades n’entendent pas, pour acquérir quelque réputation et pour se faire obéir.

Un médecin qui ne sait que du latin peut bien être estimé au village, parce que du latin c’est du grec et de l’arabe pour les paysans. Mais si un médecin ne sait au moins lire le grec, pour apprendre quelque apriorisme d’Hippocrate, il ne faut pas qu’il s’attende de passer pour savant homme dans l’esprit des gens de ville qui savent ordinairement du latin. Ainsi les médecins, même les plus savants, connaissant cette fantaisie des hommes, se trouvent obligés de parler comme les aiïrouteurs et les ignorants, et l’ou ne doit pas toujours juger de leur capacité et de leur bon sens par les choses qu’ils pement dire dans leurs visites. S’ils parlent grec quelquefois, c’est pour charmer le malade et non pas la maladie, car ils savent bien qu’un passage grec n’a jamais guéri personne.


CHAPITRE V.
I. De la seconde inclination naturelle ou de l’amour-propre. — II. Il se divise en l’amour de l’être et du bien-être, ou de la grandeur et du plaisir.


l. La seconde inclination que l’auteur de la nature imprime sans cesse dans notre volonté, c’est l’amour de nous-mêmes et de notre propre conservation.

Nous avons déjà dit que Dieu aime tous ses ouvrages, que c’est l’amour seul qu’il a pour eux qui les conserve, et qu’il veut que tous les esprits créés aient les mêmes inclinations que lui. Il veut donc qu’ils aient tous une inclination naturelle pour leur conservation et pour leur bonheur, ou qu’ils s’alment eux-mêmes. Cependant il n’est pas juste de mettre sa dernière fin dans soi-même, et de ne se pas aimer par rapport à Dieu ; puisqu’en effet n'ayant de nous-mêmes aucune bonté ni aucune substance, n'ayant aucun pouvoir de nous rendre heureux et parfait, nous ne devons nous aimer que par rapport à Dieu, qui seul peut être notre souverain bien[1].

Si la foi et la raison nous apprennent qu’il n’y a que Dieu qui soit le souverain bien, et que lui seul peut nous combler de plaisirs, nous concevons facilement qu’il faut donc l’aimer, et nous nous y portons avec assez de facilité ; mais sans grâce, c’est toujours imparfaitement et par amour-propre que nous l’aimons, je veux dire par un amour-propre injuste et déréglé. Car, quoique nous l’ai-

  1. Je m’explique plus clairement et plus au long dans le Traité de l’amour de Dieu, et dans la troisième Lettre au P. Lami ; car je ne parle ici des inclinations qu’en passant, et pour rapporter avec quelque ordre les causes de nos erreurs.