Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/442

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Tous les hommes sont capables de la vérité, mais ils ne s’adressent point à celui qui seul est capable de l’enseigner. Les superbes se tournent vers eux-mêmes ; ils n’écoutent qu’eux-mêmes, et les faux humbles se tournent vers les superbes et s’assujettissent à toutes leurs décisions : les uns et les autres n’écoutent que des hommes. L’esprit des superbes obéit à la’fermentation de leur propre sang, c’est-à-dire à leur propre imagination ; l’esprit des faux humbles se soumet à l’air dominant des superbes : ainsi les uns et les autres sont assujettis à la vanité et au mensonge. Le superbe est un homme riche et puissant, qui a un grand équipage, qui mesure sa grandeur par celle de son train, et sa force par celle des chevaux qui firent son carrosse ; le faux humble, ayant le même esprit et les mêmes principes, est un misérable, pauvre, faible et languissant, et qui s’imagine qu’il n’est presque rien, parce qu’il ne possède rien. Cependant notre équipage n’est pas nous ; et tant s’en faut que l’abondance du sang et des esprits, que la vigueur et l’impétuosité de l’imagination nous conduisent à la vérité. qu’au contraire il n’y a rien qui nous en détourne davantage. Ce sont ces bébétés, s’il est permis de les appeler ainsi, ces esprits froids et languissants, qui sont les plus capables de découvrir les vérités les plus solides et les plus cachées ; ils peuvent écouter, dans un plus grand silence de leurs passions, la vérité qui les enseigne dans le plus secret de leur raison : mais, malheureusement pour eux, ils ne pensent point à s’appliquer à ses paroles ; elle parle sans éclat sensible et d’une voix basse, et ce n’est que le bruit qui les réveille. Il n’y a que le brillant, que le grand et le magnifique en apparence, et selon le jugement des sens, qui les convainque : ils se plaisent à se laisser éblouir ; ils aiment mieux entendre ces philosophes qui ne racontent que leurs visions et leurs songes, et qui assurent, comme les faux prophètes, que la vérité leur a parlé lorsque la vérité ne leur a point parlé, que d’entendre la vérité même. Il y a plus de quatre mille ans que l’orgueil humain leur débite des mensonges sans qu’ils s’y opposent ; ils les respectent même et les conservent comme des traditions saintes et divines. Il semble que le Dieu de la vérité ne soit plus avec eux ; ils ne pensent plus à lui ; ils ne le consultent plus ; ils ne méditent plus, et ils couvrent leur paresse et leur nonchalance des apparences trompeuses d’une sainte humilité.

Il est vrai que nous ne pouvons découvrir la vérité par nousmèmes ; mais nous le pouvons toujours avec celui qui nous éclaire, et nous ne le pouvons jamais par le secours de tous les hommes joints ensemble. Ceux mêmes qui la connaissent le mieux ne nous