Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/443

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la sauraient faire voir, si nous n’interrogeons nous-mêmes celui qu’ils ont interrogé, et s’il ne répond à notre attention comme il a répondu à la leur. Il ne faut donc point croire les hommes parœ que les hommes ont, parlé, car tout homme est trompeur ; mais parce que celui qui ne peut tromper nous a parlé, et nous devons sans cesse interroger celui qui ne peut jamais tromper. Nous ne devons point croire ceux qui ne parlent qu’aux oreilles, qui n’instruisent que le corps, qui n’agissent au plus que sur l’imagination ; mais nous devons écouter attentivement et croire fidèlement celui qui parle à l’esprit, qui instruit la raison, et qui, pénétrant jusque dans le plus secret de l’homme intérieur, est capable de l’éclairer et de le fortifier contre l’homme extérieur et sensible, qui le séduit et qui le maltraite sans cesse. Je répète souvent ces choses, parce que je les crois très-dignes d’une sérieuse réflexion. C’est Dieu seul qu’il faut honorer : il n’y a que lui qui soit capable de répandre en nous la lumière, comme il n’y a que lui qui soit capable de produire en nous les plaisirs.

Il se rencontre quelquefois dans les esprits animaux et dans le reste du corps une certaine disposition qui excite à la chasse, à la danse, à la course, et généralement à tous les exercices où la force et l’adresse du corps paraissent le plus. Cette disposition est fort ordinaire aux jeunes gens, et principalement à ceux dont le corps n’est pas encore tout à fait formé. Les enfants ne peuvent demeurer en place, ils sont toujours en action lorsqu’ils suivent leur humeur. Comme leurs muscles ne sont pas encore fortifiés ni même tout à fait achevés, Dieu, qui, comme auteur de la nature, règle les plaisirs de l’àme par rapport au bien du corps, leur fait trouver du plaisir dans l’exercice afin que leur corps se fortifie. Ainsi, dans le temps que les chairs et les fibres des nerfs sont encore molles, les chemins par lesquels il est nécessaire que les esprits animaux s’écoulent pour produire toutes sortes de mouvements se tracent et se conservent, et il ne sfamasse point d’humeurs qui les ferment ou qui, s’étant pourries, corrompent quelque partie.

Le sentiment confus que les jeunes gens ont de la disposition de leur corps fait qu’ils se plaisent dans la vue de sa force et de son adresse. Ils s’admirent lorsqu’ils en savent mesurer les mouvements ou lorsqu’ils sont capables d’en faire d’extraordinaires ; ils souhaitent même d’être en présence de gens qui les considèrent et qui les admirent. Ainsi ils se fortifient peu à peu dans la passion pour tous les exercices du corps, laquelle est une des principales causœ de l’ignorance et de la brutalité des hommes. Car, outre le temps que l’on perd dans ces exercices, le peu d’usage que l’on fait de son