Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/618

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animaux. Car c’est l’agitation de ces esprits qui fait la force de notre corps, et qui nous donne le pouvoir de faire ces efforts que nous regardons sans raison comme quelque chose de fort grand et de fort puissant.

Mais il faut bien remarquer que cette fermentation de notre sang n’est qu’une fort petite communication du mouvement de cette matière subtile dont nous venons de parler ; car toutes les fermentations des corps visibles ne sont que des communications du mouvement des corps invisibles, puisque tout corps reçoit son agitation de quelque autre. Il ne faut donc pas s’étonner si notre force n’est pas si grande que celle de cette même matière subtile dont nous la recevons. Mais si notre sang se fermentait aussi fort dans notre cœur, que la poudre à canon se fermente et s’agite lorsqu’on y met le feu, c’est-à-dire, si notre sang recevait une communication du mouvement de la matière subtile aussi grande que celle que la poudre à canon reçoit, nous pourrions faire des choses extraordinaires avec assez de facilité, comme rompre du fer, renverser une maison, etc., pourvu que l’ou suppose qu’il y eût une proportion convenable entre nos membres et du sang agité de cette sorte. Nous devons donc nous défaire de notre préjugé, et ne nous point imaginer selon l’impression de nos sens, que les parties des corps durs soient si fort unies les unes avec les autres, à cause que nous avons bien de la peine à les rompre.

Que, si nous considérons d’ailleurs les effets du feu dans les mines, dans la pesanteur des corps, et dans plusieurs autres effets de la nature, qui n’ont point d’autre cause que l’agitation de ces corps invisibles, comme M. Descartes l’a prouvé en plusieurs endroits, nous reconnaîtrons manifestement qu’il n’est point au-dessus de leur force d’unir et de comprimer ensemble les parties des corps durs aussi fortement qu’elles le font. Car enfin, je ne crains point de dire qu’un boulet de canon, dont le mouvement parait si extraordinaire, ne reçoit pas même la millième partie du mouvement de la matière subtile qui l’environne.

On ne doutera pas de ce que j’avance si l’on considère premièrement, que la poudre à canon ne s’enflamme pas toute, ni dans le même instant ; secondement, que quand elle prendrait feu toute et dans le même instant, elle nage fort peu de temps dans la matière subtile : or, les corps qui nagent très-peu de temps dans les autres n’en peuvent pas recevoir beaucoup de mouvement, comme on le peut voir dans les bateaux qu’on abandonne au cours de l’eau, lesquels ne reçoivent que peu à peu leur mouvement. En troisième lieu, et principalement, parce que chaque partie de la pou-