Page:Malherbe - Œuvres, éd. Lalanne, t1, 1862.djvu/610

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que de l’homme à Dieu. L’une enseigne ce qu’il faut faire en la terre, l’autre ce qui se fait au ciel. L’une règle nos erreurs, et nous résout les doutes qui sont en cette vie ; l’autre est bien haut par-dessus cette épaisseur où nous sommes, et nous arrachant de l’obscurité, nous conduit à la source même de la lumière. Quant à moi, je me trouve infiniment redevable à la nature, non de se laisser voir à moi du côté que tout le monde la voit, mais quand arrivé à ce qu’elle a de plus secret et de plus retiré, j’apprends quelle est la matière de l’univers, quelles mains l’ont bâti, quelle puissance le gouverne ; que c’est que Dieu ; s’il est empêché du tout à la considération de soi-même, ou si quelquefois il nous daigne regarder ; si tous les jours il travaille à quelque chose, ou si dès le commencement il a fait, une fois pour toutes, ce qu’il vouloit faire ; s’il est une partie du monde ou s’il est le monde même ; s’il a l’autorité de faire chaque jour des ordonnances, et déroger à la loi des destinées, ou si ce seroit point retrancher de sa grandeur et l’accuser de faute, de dire qu’il ait fait des choses où la réformation et le changement soient nécessaires ; car il faut que toujours mêmes choses plaisent à celui qui ne sauroit se plaire à rien qui ne soit bon. Non que pourtant il soit moins libre, ni qu’il ait moins de pouvoir ; mais c’est qu’il est lui-même sa nécessité. Si je n’avois eu le crédit d’entendre ces merveilles, ce ne m’eût pas été grand avantage de naître ; car à quelle occasion me fussé-je réjoui d’avoir été mis au nombre des vivants ? Eût-ce été pour couler éternellement du pain et du vin [1], et farcir ce misérable corps, qui se ruineroit tout aussitôt s’il n’étoit rempli d’une heure à l’autre, passant tout ainsi ma vie que ceux qui sont à servir un malade ? Ou pour craindre la mort,

  1. Dans le texte latin : cibos et potiones percolare.