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Quelques jours après, cette dernière feuille publie, le 9 prairial an X (29 mai 1802), une lettre adressée « aux rédacteurs du journal », signée Verax Lebourru.

« Retiré dans une campagne isolée, je fais venir de Paris presque tous les ouvrages nouveaux qui sont annoncés avec éloges dans les journaux ; mais, je ne sais par quelle fatalité, presque tous ceux que j’ai lus depuis quelque temps m’ont paru souverainement médiocres, pour ne pas dire détestables. On m’assure que, le plus souvent, les journalistes n’ont pas même lu les ouvrages qu’ils louent avec une si intrépide assurance, et qu’ils n’insèrent ces articles mensongers que pour complaire à des amis officieux, ou même tout simplement au libraire. » Ces réflexions lui sont venues en lisant un roman intitulé Laure d’Estell sur l’indication du « citoyen Ségur jeune » dans le Journal des Débats, et du Journal de Paris lui-même. Tout ce qu’un auteur peut imaginer pour blesser un autre auteur au point sensible, une femme pour blesser une autre femme, vient naturellement sous la plume de Verax Lebourru. Malheureusement sa critique est lourde, et manque totalement d’esprit. Ce n’est pas la flèche brillante, le trait hardi et ingénieux, la trouvaille piquante : c’est le coup de poing du charretier. Verax Lebourru n’a jamais lu de roman aussi froid, aussi fade, aussi commun. Nulle sensibilité, nul abandon. Jamais un trait qui parte de l’âme. On dit que l’auteur est une femme ; mais où ces pensées fines et ingénieuses, ces aperçus délicats qui distinguent les productions des femmes ? On est