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Page:Manuel d’Épictète, trad. Guyau, 1875.djvu/30

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XX
ÉTUDE

qui constitue l’essence même de la liberté : l’homme libre pourrait se reconnaître à ce qu’il « n’a pas d’ennemi »[1]. Comme il a supprimé l’opposition et la contradiction intérieure de ses désirs, du même coup se trouve supprimée l’opposition extérieure de ses désirs avec ceux des autres hommes : l’harmonie qui règne en lui s’étend au dehors de lui[2]. Rien ne peut le blesser, ni mépris, ni injures, ni coups : il est comme « la source limpide et douce » qui abreuve ceux mêmes qui l’injurient, et dont les flots ont bientôt fait de dissiper toute souillure[3]. Nulle discorde, nulle querelle ne l’émeut ; bien plus, sa tâche est d’apaiser toute querelle autour de lui, d’accorder les hommes, comme le musicien accorde et fait résonner ensemble les cordes d’une lyre. Tout en se riant de ceux qui voudraient le troubler et le blesser, il leur pardonne. Ce pardon, d’ailleurs, est plutôt un mouvement de pitié que d’amour. Le sage sait que le vice est esclavage, empêchement, fatalité imposée à l’âme ; que nul homme, selon la parole de Socrate, n’est mauvais volontairement ; que toute faute est une contradiction par laquelle, en voulant le bien, on fait le mal ; qu’enfin, comme l’a dit

  1. Manuel, i.
  2. Entretiens, II, xxii.
  3. Marc-Aurèle, viii, 51.