Page:Marais - Le Reflet sur la vitre (Les Annales politiques et littéraires, édition du 4 mai), 1919.djvu/3

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

s’encourageait en la contemplant : peut-on être sotte, quand on sourit avec les lèvres de Mona Lisa ? Mesquine, avec le profil d’une vierge pérugine ? Vulgaire, lorsqu’on a le galbe d’une grande dame de Largillière ?

Cependant, il cherchait un indice qui lui révélât la mentalité de cette belle silencieuse. Elle semblait préoccupée. Un mince sillon se creusait entre ses sourcils. Soudain, elle s’immobilisa devant une boutique : c’était le magasin de Wertheim, le fameux marchand de tableaux. Un Degas y était exposé ; et la jeune fille paraissait hypnotisée en face de cette toile.

Le cœur du fiancé bondit de joie : comment, elle comprenait Degas !… Mais alors, elle avait une personnalité, un esprit original, des idées et des opinions…

Tendrement le jeune peintre interrogea :

— Vous regardez ce Degas ?

Elle répondit gravement, d’un air absorbé :

— Non. Je regarde le reflet de ma silhouette sur la vitre. Décidément, Max ne sait pas couper les jaquettes : je cesserai de me faire habiller chez ce tailleur.

jeanne marais.
(Dessin de Suz. Sesboué.)