Page:Marbeau Le charme de l histoire 1902.djvu/287

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
281
la rochefoucauld et la comtesse diane

crit au bienfaiteur d’oublier et à l’obligé de se souvenir » (106). Mais sa délicatesse est trop haute pour conclure de cette observation qu’un cœur jaloux de sa dignité ne doit pas accepter l’aide offerte par un ami : « On peut, dit-elle au contraire, tout accepter de celui à qui on aurait tout donné ; il n’a que la supériorité de l’occasion » (40). Elle nous montre que ce sont les âmes les plus fières qui savent recevoir sans s’abaisser- : « Les caractères généreux acceptent sans embarras en pensant qu’ils donnent le bonheur de donner. Les caractères avides demandent sans honte en ne pensant qu’au profit de recevoir. Les caractères ordinaires, ni avides, ni généreux, ne veulent ni demander, ni recevoir, et ne comprennent pas qu’il y ait des gens pour qui la reconnaissance ne soit pas un fardeau » (64). Voilà la vérité ! c’est celui qui donne qui est véritablement heureux et qui doit rendre grâce à son ami. Aussi a-t-elle raison d’ajouter : « Pour bien donner, comme pour bien recevoir, il n’y a qu’à laisser voir son bonheur >> (68).

Que ces pensées charmantes nous transportent loin de La Rochefoucauld et de son fastueux entou­rage ! Il ne faut cependant ·pas en attribuer l’honneur à la seule marche du temps ; les sentiments peuvent différer, non seulement d’un siècle à l’autre, mais aussi d’une société à l’autre dans le même siècle, et sur tous ces points La Bruyère s’éloigne