Page:Marcel Schwob - Œuvres complètes. Écrits de jeunesse.djvu/178

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le harasser, aucune peine pour l’éveiller. Même dans l’hiver le plus rude, sa chambre à coucher demeurait sans feu ; ce n’est que dans ses dernières années qu’il céda aux supplications de ses amis jusqu’à permettre qu’on y en allumât un bien petit. Tout dorlotage, tout soin douillet ne trouvait point de quartier auprès de Kant. D’ailleurs cinq minutes, par la température la plus froide, suffisaient pour surmonter le premier frisson du lit, par la diffusion d’une chaleur générale dans tout son corps. S’il avait occasion de quitter sa chambre à coucher pendant la nuit (elle demeurait toujours close et sombre, jour et nuit, été comme hiver), il se guidait au moyen d’une corde dûment attachée au pied de son lit toutes les nuits, qui aboutissait vers une chambre voisine.

Kant ne transpirait jamais, ni le jour, ni la nuit. Cependant la chaleur qu’il supportait habituellement dans son cabinet de travail était surprenante, et en fait, il se sentait mal à l’aise s’il manquait seulement un degré à cette chaleur. Soixante-quinze degrés Fahrenheit étaient la température invariable de cette chambre où il vivait habituellement ; et si elle tombait en dessous de ce point, quelle que fût la saison de l’année, il l’élevait artificiellement à la hauteur habituelle. Dans les chaleurs de l’été, il allait vêtu d’habits légers et invariablement de bas de soie. Pourtant, comme ses vêtements ne pouvaient toujours suffire à l’assurer contre la transpiration, s’il était occupé à quelque exercice actif, il avait un singulier remède en réserve. Il se retirait alors dans un endroit ombragé et demeurait immobile avec l’air et l’attitude d’une personne qui écoute ou qui attend, jusqu’à ce que son aridité coutumière lui