Page:Marcel Schwob - Œuvres complètes. Écrits de jeunesse.djvu/202

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depuis, la libéralité de Hartknoch, son éditeur, qui à son tour avait profité des généreuses conditions auxquelles Kant lui avait cédé ses droits d’auteur sur ses œuvres, lui avait permis de lire tous les nouveaux livres à mesure qu’ils paraissaient.

Vers la fin de cet hiver, c’est-à-dire de 1803, Kant commença à se plaindre de rêves désagréables, quelquefois très terrifiants, qui provoquaient en lui une grande agitation. Souvent des mélodies qu’il avait entendu chanter dans sa prime jeunesse parmi les rues de Kœnigsberg, résonnaient douloureusement à ses oreilles et le hantaient si obstinément qu’il n’y avait point d’effort, de distraction pour les chasser : ceci lui donnait de l’insomnie jusqu’à des heures tardives. Et parfois, après que le sommeil l’avait pris à la suite d’une longue veille, quelque profond que fût son sommeil, il était brusquement interrompu par de terribles hallucinations qui plongeaient Kant dans une extrême terreur. Presque toutes les nuits, le cordon de sonnette qui communiquait avec une sonnette établie dans une chambre au-dessus de la sienne où dormait son serviteur était violemment agité et avec une intense précipitation ; et si vite que s’empressât le domestique, il arrivait toujours trop tard et trouvait son maître levé et se dirigeant, terrifié, vers quelque autre partie de la maison. En cette occasion la faiblesse de ses jambes l’exposait à de si rudes chutes qu’enfin, mais avec une infinie difficulté, je lui persuadai de faire coucher son domestique dans la même chambre que lui. L’état morbide de son estomac qui provoquait ces affreux rêves, devint de plus en plus lamentable, et il essaya des remèdes variés que jadis il avait hautement condamnés