Page:Marcel Schwob - Œuvres complètes. Écrits de jeunesse.djvu/80

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je lui demandais pourquoi il ne cherchait pas à avancer : “Un officier de marine, disait-il, doit savoir écrire convenablement, autrement ce ne serait pas un officier.” Tel était mon ami, brave, loyal et honnête ; c’est trop de l’écrire ; les larmes me montent aux yeux quand je pense à lui.

Une nuit — il faisait un temps effroyable — les vagues abordaient par le travers. Nous étions sur le pont avec le capitaine et le timonier. Les gouttes de pluie d’orage coulaient le long des vitres du fanal et le vent ululait dans les cordages. Tout à coup une vague énorme, toute blanche d’écume dans la nuit, traversa le tillac : je fus entraîné. Je me raccrochai heureusement à une échelle de corde, et comme je remontais, crachant et soufflant comme un vieux phoque, voilà que je vis le timonier qui faisait un signe de croix : il était breton. Le capitaine, appuyé sur le bastingage, secouait la tête et haussait les épaules, en regardant la mer. Je cherchai des yeux mon ami ; il n’était plus là. Je m’élançai vers le timonier ; je vis qu’il marmottait une prière. Puis il tira sa grosse montre d’argent, attachée à un cordon de cuir, l’approcha du fanal, et lut péniblement le chiffre : “Il est onze heures, dit-il lentement, il nagera jusqu’à quatre heures.”