Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/17

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à la terre. Tout ce peuple erre indéfiniment dans de vastes solitudes, sans foyer, sans assiette fixe, et sans loi. Aucun ciel, aucun sol n’a de quoi l’arrêter longtemps. L’émigration est sa vie là, l’union de l’homme et de la femme n’est qu’un contrat de louage : pour toute forme matrimoniale, l’épouse, fiancée à prix fait et à temps, apporte, en manière de dot, une lance et une tente à son mari, se tenant prête, le terme expiré, à le quitter au moindre signe. On ne saurait dire avec quelle fureur, dans cette nation, les deux sexes s’abandonnent à l’amour. L’existence y est si mobile, qu’une femme se marie en un lieu, accouche dans un autre, et élève ses enfants loin de là, sans avoir, un moment, pris domicile. Ils se nourrissent universellement de venaison, de lait que leurs bestiaux fournissent en abondance, de plusieurs sortes d’herbes, dont leur sol offre une grande variété, et, quand ils peuvent, d’oiseaux pris au piège. Presque tous ceux que nous avons vus ignoraient l’usage du pain et du vin. C’est assez parler de cette nation dangereuse ; reprenons notre récit.

V. Durant ces agitations de l’Orient, Constance, qui avait fixé sa résidence d’hiver à Arles, y célébrait fastueusement, par la pompe des jeux du Cirque et des représentations théâtrales, la trentième année de son règne, accomplie le 6 des ides d’octobre (10 octobre). Un penchant à la tyrannie, de plus en plus prononcé, lui faisait accueillir toute accusation, quelque chimérique ou douteuse qu’elle fût, comme positive et démontrée. Le comte Géronce entre autres, qui avait été du parti de Magnence, fut d’abord livré à la torture, puis envoyé en exil. Comme le plus léger attouchement révolte la sensibilité dans une partie malade, de même, pour cet esprit pusillanime et borné, le moindre bruit se traduisait en attentat, en complot formé contre sa vie. Ce qu’il fit de victimes par peur suffit à transformer sa victoire en calamité publique. Si élevé qu’on fût comme militaire ou comme honorable, ou par la considération acquise parmi les siens, on pouvait, sur un propos, sur un soupçon, se voir chargé de chaînes et traîné comme une bête fauve ; et, sans même qu’un accusateur intervînt, on vous avait interrogé, ou seulement cité ; votre nom avait été prononcé ; c’était assez pour qu’il s’ensuivît un arrêt de mort, de proscription ou d’exil.

Ces frayeurs sanguinaires, cette inquiétude fougueuse qui s’emparaient du prince à l’idée seule d’une atteinte portée à son pouvoir ou à sa personne, une homicide adulation travaillait encore à les accroître. C’était autour de lui comme un concert d’exagérations perfides, de doléances simulées, d’hypocrites déclamations sur les périls de cette vie précieuse, à laquelle tenaient, comme par un fil, les destinées de l’univers. Aussi est-il sans exemple qu’au moment où, suivant l’usage, le tableau des jugements rendus lui était soumis, il ait jamais révoqué une condamnation de cette nature ; clémence assez commune pourtant chez les souverains les plus impitoyables. Et l’âge, qui d’ordinaire amortit les instincts féroces, ne fit que les développer chez lui, excité comme il l’était par les encouragements de cette tourbe de flatteurs qui ne le quittait point.

Au milieu d’eux se distinguait Paul le notaire. Cet Espagnol, qui cachait une astuce profonde sous sa face imberbe, était d’une adresse merveilleuse à pénétrer dans les secrets de chacun