Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/227

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autant que riche de gloire : en a-t-il moins bien conduit la plus importante des guerres ?

(6) Vous voulez être riches : eh bien ! soyez intrépides. Confiez-vous d’un cœur plus soumis à la conduite de Dieu, et, si j’ose le dire, à la mienne. Préférez-vous retomber dans l’ignoble anarchie des séditions passées ? soit.

(7) Je saurai mourir en empereur au bout d’une carrière déjà noblement parcourue, et faire sans peine le sacrifice d’une vie que le moindre accès de fièvre peut m’ôter ; ou bien j’abdiquerai le pouvoir. À la façon dont j’ai vécu, je puis encore me trouver à l’aise dans une condition privée. Je vous laisse après moi, je le dis avec bonheur, avec orgueil, les chefs les mieux éprouvés et les plus habiles dans toutes les parties de l’art de la guerre."

(8) Ce discours, où se peignait si bien l’égalité d’âme de celui qui parlait, calma soudain l’irritation. L’espoir revint, et avec l’espoir la confiance. On promit d’une commune voix de se montrer dociles et disciplinés, en reconnaissant avec admiration l’ascendant que savait exercer le prince ; et, suivant l’usage du soldat dans les cas pareils, un retentissement adouci des armes confirma la sincérité de cette déclaration.

(9) On rentra ensuite sous la tente, pour prendre gaiement telle nourriture que la circonstance permettait, et pour jouir du repos de la nuit. Jusque dans les termes de ses serments, Julien savait intéresser leurs sympathies. Au lieu de jurer par ceux qui lui étaient chers, il disait, par exemple : "Ainsi puissé-je vaincre les Perses ! " ou : "Ainsi puissé-je régénérer l’empire romain ! ". Cette façon de jurer était habituelle aussi à Trajan, qui, pour affirmer quelque chose, avait souvent à la bouche : "Ainsi puissé-je voir la Dacie réduite en province romaine ! " ou bien : "Ainsi puissé-je passer l’Ister, l’Euphrate ! " ou telle autre modification de la même formule.

(10) Par une marche de quatorze milles nous joignîmes ensuite un point du fleuve, où sont établies des écluses qui portent la fécondité dans toute la campagne attenante. Les Perses les avaient levées, sachant que nous devions prendre cette route, et avaient ainsi opéré une vaste inondation.

(11) Contraint de s’arrêter un jour devant cet obstacle et de laisser reposer les troupes, l’empereur se porta de sa personne en avant, et, à grand renfort d’outres gonflées, de bateaux en cuir et de pilotis de bois de palmier, il parvint, non sans peine, à établir une multitude de petits ponts sur lesquels passa l’armée.

(12) Les vignobles abondent dans ce canton, ainsi que les arbres à fruit de diverses espèces. On y voit surtout pulluler l’arbre aux palmes, qui forme de véritables forêts jusqu’à la Mésène et jusqu’à la grande mer. On ne peut faire un pas sans trouver un palmier fécond ou stérile. On tire de la substance des premiers du miel et du vin en abondance. Les palmiers, dit-on, s’accouplent, et chez eux la différence de sexe est très sensible.

(13) On va même jusqu’à prétendre que les tiges femelles peuvent être artificiellement fécondées ; que ces arbres sont susceptibles d’amour réciproque (à telles enseignes que nulle force de vent ne peut empêcher dans un couple l’inclinaison de l’un vers l’autre) ; que, sevrée de la semence du mâle, la femelle avorte, et ne donne que des fruits imparfaits qui ne mûrissent point ; que, pour connaître de quel mâle une femelle est éprise, il