Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/248

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de Jovien, on comprit la triste vérité, et ce fut une explosion de larmes et de sanglots.

(7) Un choix fait dans de telles circonstances ne saurait être rigoureusement pesé dans les balances de la raison. C’est comme si l’on blâmait des matelots, après la perte d’un pilote habile, et quand la tempête gronde, de confier le gouvernail à celui d’entre eux qui accepte la responsabilité du salut commun.

(8) Le caprice de la fortune n’eut pas plus tôt fait cette élection, que l’enseigne des Joviens, que Varronien avait longtemps commandés, s’enfuit dans le camp des Perses. Cet homme avait eu des altercations avec Jovien, alors son égal, et qui s’était offensé de ses propos inconvenants contre son père ; il eut peur du ressentiment d’un ennemi parvenu au pouvoir suprême. Admis devant Sapor, qui n’était qu’à peu de distance, il lui annonce que celui qu’il redoutait tant n’existe plus, et qu’une émeute de goujats vient d’élire Jovien, simple protecteur, homme sans tête et sans énergie, un fantôme d’empereur.

(9) Sapor, à cette nouvelle, qui comblait le plus ardent de ses voeux, s’empressa de renforcer, par un détachement considérable de la cavalerie de son corps de réserve, les troupes qui avaient combattu contre nous, et donna l’ordre de tomber vivement sur notre arrière-garde.

Chapitre VI

(1) Telle était des deux parts la situation des choses. On consulta, dans l’intérêt de Jovien, les entrailles des victimes. La réponse fut que sa perte était certaine si, comme il en avait manifesté l’intention, il attendait l’ennemi derrière un retranchement ; mais qu’en rase campagne l’avantage lui resterait.

(2) On commença donc à se mettre en marche. Les Perses aussitôt font charger par les éléphants qui étaient en front. Les cris et le choc terrible de ces animaux épouvantent d’abord nos chevaux et même leurs cavaliers. Les Joviens et les Herculiens toutefois en tuèrent quelques-uns, et tinrent bon contre les cataphractes.

(3) À la vue du péril de leurs camarades, les Joves et les Victorins accourent ; ils tuent deux éléphants, et font un grand carnage des Perses. D’un autre côté, nous perdions à l’aile gauche trois hommes de la plus haute valeur, Julien, Macrobe et Maxime, tribuns des meilleures légions de l’armée.

(4) On leur rendit les derniers honneurs aussi bien que le permettait la circonstance. Comme la nuit approchait nous doublâmes le pas pour arriver à un fort nommé Sumère ; et, chemin faisant, nous reconnûmes le corps d’Anatole, que l’on inhuma de même sommairement. Là nous fûmes rejoints par le parti de soixante soldats et quelques gardes, qui s’était jeté, comme nous l’avons dit plus haut, dans le fort de Vaccat.

(5) Le lendemain, nous campâmes dans une vallée en entonnoir qui n’avait qu’une issue, les monts formant pour le reste de son contour une sorte de muraille naturelle, et nous y ajoutâmes un renfort de pieux aiguisés comme des pointes d’épées.

(6) Nous voyant si bien retranchés, l’ennemi, qui occupait les défilés, se contenta de nous envoyer de là des volées de traits de toute espèce, en même temps qu’il nous accablait d’injures, nous appelant traîtres et meurtriers du plus estimable des princes ; car des transfuges leur avaient rapporté la bruit vague qui avait couru que le trait qui avait frappé Julien était parti d’une main romaine.

(7) Des escadrons ennemis osèrent cependant forcer la porte prétorienne et pénétrer jusqu’à la tente de Jovien. Mais on les repoussa