Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/266

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C’était un tourment pour lui quand sa victime sortait de ses mains sans avoir été pressurée.

(8) Sa fortune grossissait par ces extorsions, et c’était une prime d’encouragement pour sa rapacité, qui n’en devenait que plus intraitable, plus brutale, et plus incapable de justice et de réflexion. Pétrone fut plus détesté que ce Cléandre, préfet sous Commode et spoliateur effréné de tant de patrimoines ; plus tyran que cet autre préfet Plautien, sous le règne de Sévère, dont la démence furieuse eût été cause d’une subversion générale si le fer n’eût fait à temps justice de ses forfaits.

(9) Voilà les maux qui, grâce à Pétrone, firent, sous Valens, déserter tant de riches maisons et de pauvres demeures. L’avenir s’annonçait encore plus sombre. Tous les cœurs étaient ulcérés. Dans le peuple, dans l’armée, c’était comme un sourd concert de gémissements qui s’élevait vers le ciel en implorant un changement de régime.

(10) Procope, qui observait tout dans l’ombre, jugea que, pour peu que la fortune lui sourit, il pouvait saisir le pouvoir. Il se tenait coi, comme la bête fauve prête à s’élancer sur sa proie.

(11) L’occasion qu’il attendait impatiemment, le sort se chargea de la lui offrir. Valens était parti pour la Syrie après l’hiver, et déjà entrait en Bithynie, quand il apprit, par les rapports de ses généraux, que les Goths renforcés par une longue trêve, et devenus plus redoutables que jamais, s’étaient réunis pour attaquer la frontière de Thrace. Cette nouvelle ne changea rien à ses plans. Il se contenta d’ordonner qu’une force suffisante en infanterie et en cavalerie fût dirigée sur les points menacés.

(12) Procope, de son côté, se hâta de profiter de l’éloignement du prince. Poussé à bout par le malheur, et préférant la plus cruelle des morts aux maux qu’il endurait, il voulut risquer le tout pour le tout. De jeunes soldats des légions Divitense et Tongrienne se dirigeaient en ce moment par Constantinople vers le théâtre de la guerre, et devaient séjourner deux jours dans la capitale. Il conçut le projet téméraire de tenter leur fidélité. Un assez grand nombre d’entre eux lui étaient personnellement connus, mais il y avait trop de danger à entrer en pourparler avec eux tous ; il ne s’adressa qu’à ceux sur lesquels il pouvait compter.

(13) Ceux-ci, séduits par la perspective des plus brillantes récompenses, s’engagèrent par serment à lui obéir en tout, et promirent le concours de leurs camarades, sur qui des services supérieurs et le nombre de leurs campagnes leur donnaient un ascendant non contesté.

(14) Au jour fixé, Procope, livré à l’agitation de ses pensées, se rend aux bains d’Anastasie, ainsi désignés du nom de la sœur de Constantin, et qui servaient alors de quartier aux deux légions. Ses agents l’avaient informé qu’il s’y tiendrait en sa faveur un conciliabule nocturne. Il donne le mot d’ordre, est admis ; et le voilà au milieu de cette réunion de soldats à vendre, traité avec honneur, mais en quelque sorte captif. Comme autrefois les prétoriens adjugeant, sur son enchère, l’empire à Julien Didius, tous faisaient cercle autour de cet autre chaland d’une domination éphémère, impatients de connaître son prix.