Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/267

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(15) Pâle comme un spectre (on l’eût dit échappé de l’Érèbe), Procope, qui n’avait pu se procurer de manteau impérial, se tenait debout, revêtu seulement de la tunique brodée d’or d’un officier du palais, laquelle lui descendait de la ceinture en bas, à la façon de celle d’un enfant au collège. Ses pieds étaient chaussés de pourpre. Il tenait une lance de la main droite, et de la gauche agitait un lambeau de la même étoffe. C’était comme l’apparition soudaine d’une de ces figures peintes sur la toile d’un théâtre, ou de quelque bizarre personnage de comédie.

(16) Après cette ignoble parodie du cérémonial d’avènement, et la promesse bassement obséquieuse qu’il fit aux auteurs de son élévation, de les combler de richesses et de dignités dès qu’il serait en possession du pouvoir, il se montra tout d’un coup en public au milieu de cette multitude armée, qui marchait levant ses enseignes. Autour de lui retentissait le bruit lugubre de boucliers qui s’entrechoquent, parce que chaque soldat élevait le sien au-dessus du cimier de son casque, pour l’opposer aux, pierres et aux fragments de tuiles dont il supposait pouvoir être assailli du haut des toits.

(17) Le cortège s’avançait sans que le peuple donnât signe d’opposition ou de sympathie. Il éprouvait cependant cette espèce d’intérêt qu’excite toujours la nouveauté chez le vulgaire ; d’autant plus que l’animadversion générale était soulevée contre Pétrone par les moyens violents qu’il employait pour s’enrichir, réveillant d’obscures réclamations contre toutes les classes en vertu de créances prescrites et de titres surannés qu’il avait l’art de faire revivre.

(18) Cependant, lorsque Procope, monté sur un tribunal, voulut prononcer une harangue, la multitude ne l’accueillit que par une morne stupeur, un silence de mauvais augure ; et il crut d’abord, comme il l’avait craint par avance, n’avoir réussi qu’à hâter l’instant de sa mort. Un tremblement convulsif courut dans ses membres ; sa langue s’embarrassa ; il resta muet quelques minutes. Puis enfin, d’une voix sourde et entrecoupée, il essaya d’exposer ses prétentions de parenté impériale. Alors salué empereur tant bien que mal, d’abord par le faible brouhaha de quelques bouches séduites, puis par les acclamations tumultueuses de la populace, il se rendit brusquement au sénat, dont les principaux membres étaient absents. N’y trouvant qu’une minorité sans consistance, il courut s’emparer du palais.

(19) Pour s’étonner qu’une tentative aussi téméraire, appuyée de moyens si faibles et si dérisoires, ait pu créer dans l’État cette perturbation déplorable, il faut n’avoir point lu l’histoire et ignorer les antécédents.

(20) Un Andriscus d’Adramytte, sorti de la dernière classe du peuple, n’a-t-il pas réussi, en usurpant seulement le nom de Philippe, à susciter contre Rome une troisième guerre macédonique  ? Antonin Héliogabale n’a-t-il pas surgi tout à coup empereur à Émèse, tandis que Macrin régnait à Antioche  ? Quoi de plus inopiné que cet attentat de Maximin, le meurtre d’Alexandre Sévère et de sa mère Mammée  ? Enfin, n’a-t-on pas vu en Afrique le vieux Gordien, improvisé empereur de vive force, par un retour subit terminer de désespoir ses jours par l’étreinte d’un nœud coulant  ?

Chapitre VII

(1) Les petits marchands, les employés du palais en fonctions ou hors cadre, les militaires en retraite, prenaient parti, ceux-ci avec