Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/306

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(6) Je jette ici en passant quelques traits de la corruption de l’époque, en attirant d’abord, comme je l’ai déjà fait plus haut, l’attention sur les classes supérieures ; je descendrai ensuite dans les mœurs du peuple.

(7) Quelques personnes, éblouies du prestige de ce qu’on appelle grands noms, tiennent à immense honneur de s’appeler Réburrus, Flavonius, Pagonius, Géréon, Dalius, Tarracius, Férasius et autres également sonores, également indicatifs d’une haute origine.

(8) Tel, rayonnant sous la soie, traîne avec lui une bruyante cohue de valets. On dirait, à voir cette foule qui le presse, un condamné que l’on mène à la mort, ou, pour employer une moins sinistre image, un général fermant la marche de son armée.

(9) Voyez-le sous le dôme d’un bain, avec cinquante valets à ses ordres, s’écrier avec colère : "Où sont donc mes gens ? " Mais aperçoit-il de loin un esclave qui ne lui est pas connu, ou quelque Laïs de carrefour, courtisane émérite, vétéran femelle de la prostitution ; quel empressement pour courir à cette créature, et l’accabler d’immondes caresses ! Sémiramis en Perse, Cléopâtre en Égypte, Artémise chez les Cariens, Zénobie chez ses sujets de Palmyre, n’étaient pas dignes de rivaliser avec cette transcendante beauté. Et voilà quelles mœurs affichent des hommes dont les ancêtres virent un membre du sénat flétri par le blâme du censeur pour s’être oublié jusqu’à donner à sa femme un baiser devant sa fille !

(10) Il en est qui, lorsqu’à bras ouverts on vient les saluer, refusent la tête avec le geste d’un taureau qui menace des cornes, ne livrent aux étreintes de leurs clients et amis que leurs mains ou leurs genoux, et croient rendre ces gens-là trop heureux encore. D’autres recevant un étranger, un homme qui peut-être leur a rendu service, pensent l’honorer suffisamment en laissant tomber des questions de ce genre : "Quels bains fréquentez-vous ? De quelle eau vous servez- vous ? Où logez-vous ? "

(11) Ils se donnent pour hommes sérieux, et amis de la vertu seule. Mais qu’on leur annonce l’arrivée d’un attelage qui débute, d’un cocher qui n’a pas encore paru, vite ils se mettent en quête, et n’ont de cesse qu’ils n’aient vu de leurs yeux cette merveille du jour. Le retour des frères Tyndarides, après un triomphe nouveau, n’excitait pas jadis un plus vif enthousiasme.

(12) Leurs maisons ne désemplissent pas de babillards oisifs, prêts à applaudir, sous toutes les formes, à tout ce qui sort de la bouche d’un riche. Vrais parasites de la comédie, qui se tordent la nuque dans leur admiration pour la hardiesse d’une colonnade, restent en extase devant les incrustations d’un lambris, et portent aux nues le possesseur de ces merveilles ; à peu près du même ton que leurs confrères de la scène vantent à l’amphitryon entiché de ses prouesses militaires, les villes prises, les batailles gagnées par l’effort de son bras, et les prisonniers qu’il a faits par centaines.

(13) Au beau milieu d’un festin on entend crier "Des balances ! " C’est le patron du logis qui veut savoir au juste ce que pèse un poisson, un oiseau rare, un loir servi sur sa table. Quel concert d’exclamations alors ! chacun de se récrier sans terme, mais non pas sans ennui, sur les extraordinaires dimensions de la pièce : on n’a jamais rien vu de comparable. Ce n’est pas tout. Trente secrétaires au moins sont là, style et tablettes en