Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/320

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distances et en caractères lisibles, les vingt-quatre lettres de l’alphabet.

(31) Une personne vêtue et chaussée de lin, le front ceint d’une bandelette, et tenant à la main un propice rameau de verveine, est là debout, invoquant, suivant les termes du formulaire, le dieu qui préside à la science divinatoire. Cette personne tient suspendue par un cordon, au-dessus du plateau, un anneau de fil de lin, le plus délié possible, et consacré suivant des rites mystérieux, lequel, en se balançant, s’arrête successivement sur quelques-unes des lettres. La réunion de ces lettres forme des réponses aux questions proposées ; réponses en vers réguliers de rythme et de mesure, tels qu’en prononce l’oracle Pythien ou celui de Branchis.

(32) Sur notre question ’Quel est le nom du successeur immédiat à l’empire, composé de toutes les vertus ? ’, l’anneau forma le dissyllabe ’theo’, avec l’addition d’une quatrième lettre. Aussitôt l’un de nous s’écria : ’C'est Théodore que désigne le destin’. Nous ne poussâmes pas plus loin l’opération, certains que c’était bien sur ce nom que se portaient les voeux."

(33) À cette déposition circonstanciée, Hilaire s’empressa d’ajouter, à la décharge de Théodore, que tout s’était fait à son insu. On demanda ensuite aux prévenus si le sort leur avait révélé quel malheur les menaçait eux-mêmes. À quoi ils répondirent par des vers bien connus, dont le sens était, que pour eux ils payeraient leur curiosité de leur vie ; mais que le trépas et l’incendie n’en étaient pas moins dénoncés par les furies vengeresses au prince et à ses informateurs. II suffira de citer les trois derniers vers : "Ton sang n’aura pas coulé sans vengeance. Le courroux de Tisiphone prépare dans les pleines de Mimas une rétribution terrible à ceux dont le cœur brûle du désir du mal." On les laissa déclamer jusqu’au bout ; puis les ongles de fer recommencèrent leur office.

(34) Ensuite, et pour hâter le dénoûment, on introduisit en masse un certain nombre d’accusés, tous du rang d’honorables, et formant le noyau de la conspiration. Chacun d’eux, ne songeant qu’à sauver sa tête, s’efforçait de détourner le coup sur celle de son voisin. On permit enfin à Théodore de s’expliquer à son tour. Il commença par se prosterner et demander grâce. Sommé de répondre aux questions, il fit l’aveu des confidences d’Eusère, ajouta que maintes fois il avait été sur le point de tout révéler à l’empereur ; mais qu’Eusère l’en avait toujours détourné, en lui affirmant que la révolution attendue s’accomplirait naturellement par l’arrêt irrésistible des destins, et sans usurpation violente du trône.

(35) Eusère, cruellement déchiré par les bourreaux, ne fit que confirmer cet aveu. Mais on produisit des lettres écrites par Théodore à Hilaire, qui déposaient contre le premier. Elles démontraient clairement, malgré l’ambiguïté des termes, qu’il avait une confiance entière dans la prédiction, et que, loin d’être arrêté par aucun scrupule, il était plutôt impatient de la réalisation.

(36) On passa immédiatement à d’autres interrogatoires. Europe, en ce moment proconsul d’Asie,