Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/322

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et qu’on fit brûler vif quand les tourments ne purent plus rien tirer de lui. Alypius, dépouillé de ses biens, fut envoyé en exil, et son fils, sans raison aucune, condamné à mort. Un heureux hasard le sauva.

Chapitre II

(1) Ainsi un homme livré par Fortunatien à la rigueur des lois, ce Pallade, premier auteur de tout le mal, homme de rien, et partant moins capable de scrupule, allait accumulant ruines sur ruines, et semant partout le deuil et les larmes.

(2) Exploitant à son gré, sans faire acception de fortune et de rang, un genre d’accusation d’une portée indéfinie, il savait, en habile chasseur, étendre ses filets mortels à la fois sur plusieurs tètes ; signalant les uns pour fait de sortilège, les autres comme complices d’attentat à la majesté au trône.

(3) Les femmes n’avaient pas le temps de pleurer sur leurs maris. Dès qu’une dénonciation était lancée, arrivaient aussitôt des agents qui, sous prétexte de mettre les scellés, glissaient parmi les effets des prévenus quelque sort, quelque amulette de vieille femme, quelque recette pour préparer des philtres. Autant de pièces de conviction devant des tribunaux où lois, conscience ni équité n’étaient jamais appliquées à distinguer la réalité de la fraude. Sans qu’il y eût de défense écoutée, de charge même articulée, on prononçait la confiscation et la mort, et alors jeunes, vieux, dispos ou perclus, marchaient ou étaient portés au supplice.

(4) Pour éluder les perquisitions, partout, dans les provinces d’Orient, on prenait le parti de jeter au feu ses livres ; tant la terreur s’était emparée de toutes les âmes ! Pour tout dire en un mot, nous étions alors comme errants à tâtons au milieu des ténèbres cimmériennes, et tremblants tous de cet effroi qu’éprouvait le convive de Denys, lorsque, assis devant un banquet plus redoutable que la faim même, il voyait sans cesse ce glaive suspendu à un fil au-dessus de sa tête.

(5) Le notaire Bassien, officier de mérite, et du sang le plus noble, fut aussi accusé d’avoir fait servir la divination à ses vues ambitieuses. Il eut beau prouver que le sort n’avait été consulté par lui que touchant le sexe de l’enfant dont sa femme était grosse, il vit confisquer son ample patrimoine, et n’échappa même à la mort que grâce au crédit et aux instances de sa famille.

(6) Au milieu de ce fracas de nobles maisons qui s’écroulaient, l’infernal associé de Pallade et son émule en scélératesse, Héliodore le mathématicien, comme l’appelait le vulgaire, désormais initié aux plus mystérieux colloques du palais, dirigeait sûrement ses mortelles atteintes. II n’est caresses ni séductions qu’on ne mît en œuvre pour faire dire à cet homme ce qu’il savait, ou plutôt ce que lui suggérait sa fantaisie.

(7) Nulle table n’était plus délicatement servie que la sienne, et l’argent lui était prodigué pour ses voluptés mercenaires. Quand on le voyait promener dans les rues un visage refrogné, chacun cherchait à éviter son regard. Son effronterie redoubla lorsque le titre de chambellan lui ouvrit l’accès du gynécée. Il allait disant tout haut que les sentences du Père commun feraient tomber bien des têtes.

(8) En sa qualité d’avocat, il stylait Valens à tourner ses phrases, et lui enseignait à employer des figures, et à placer des mots à effet dans ses discours.