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Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/323

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(9) Il serait trop long de retracer tout le mal que causa ce misérable ; je ne veux que rappeler avec quelle insolence il osa porter la main sur les deux colonnes du patriciat. Cette audace incroyable que lui donnaient, comme je l’ai dit, les confidences du palais, et sa vénalité qui ne reculait devant aucune infamie, allèrent jusqu’à intenter aux deux respectables frères Eusèbe et Hypace, alliés autrefois de l’empereur Constance, l’accusation de viser à l’empire, et d’employer de sourdes menées pour y parvenir. Héliodore ajoutait, pour donner couleur à cette fiction, qu’Eusèbe s’était déjà fait faire un costume impérial.

(10) Écoutée avec avidité, cette déposition excita une espèce de rage chez un despote si peu fait pour commander, puisqu’il se croyait tout permis, même d’être injuste. Aussitôt sont mandés des points les plus éloignés tous ceux que désigna le caprice d’un accusateur supérieur aux lois mêmes, et que la citation alla troubler dans leur sécurité profonde. Le procès criminel fut aussitôt entamé ;

(11) et lorsqu’après avoir torturé de mille manières et l’équité et les règles de la procédure, les efforts acharnés de l’accusation n’eurent abouti qu’à mettre en lumière l’innocence des illustres accusés, le calomniateur n’en fut pas moins honorablement traité par la cour. Quant à ses victimes, elles eurent d’abord à subir l’exil et le séquestre ; mais leur rappel ne se fit guère attendre, ainsi que leur réintégration dans leurs honneurs et dans leurs biens.

(12) Le mécompte d’un tel dénouement n’éveilla pas le moindre sentiment de circonspection ou de pudeur. Dans l’éblouissement de la toute-puissance, l’empereur ne se doutait même pas qu’un grand caractère s’abaisse en faisant le mal, fût-ce pour nuire à ses ennemis ; et qu’il n’y a rien de plus odieux que la dureté de cour s’ajoutant aux rigueurs officielles du pouvoir.

(13) Quand Héliodore mourut, soit que sa fin eût été amenée par la maladie ou précipitée par la vengeance (et plût aux dieux qu’il n’eût pas donné tant de raisons de le croire !), une multitude d’honorables en grand deuil, parmi lesquels il faut compter les consulaires Eusèbe et Hypace, marchèrent, par ordre exprès, en tête de son convoi.

(14) L’absurde engouement du prince en cette occasion se manifesta jusqu’au scandale. D’abord ce fut longtemps en vain qu’on le conjura de s’abstenir d’être en personne à la lugubre cérémonie. Il restait inflexible et sourd, comme s’il se fût bouché les oreilles avec de la cire pour passer devant l’écueil des sirènes.

(15) Cédant enfin à des prières réitérées, il exigea du moins que ce fût nu-tête, les uns pieds nus, les autres les mains jointes, que l’on escorterait jusqu’au lieu de sépulture le cercueil de ce misérable. On frémit d’indignation aujourd’hui, rien qu’au souvenir de l’humiliation de tant de sénateurs et d’hommes illustres marchant dans cet équipage, précédés du bâton d’ivoire, des ornements et du registre des fastes consulaires.

(16) On distinguait dans cette procession notre jeune Hypace, si remarquable à cet âge par ses vertus ; âme douce et paisible, soumettant sa conduite à la règle d’honnêteté la plus sévère. II a soutenu dignement l’illustration de sa famille, et les actes de sa double préfecture seront des titres de gloire pour sa postérité.

(17) Encore un trait pour achever le caractère de Valens. Au moment même où il portait la cruauté