Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/344

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nourri des belles doctrines, au cœur loyal et sincère, y venaient déployer toutes les richesses de l’imagination et de la parole. Tel fut ce Démosthène (les annales d’Athènes en font foi), qui, par la seule attente d’un de ses discours, attirait un concours d’auditeurs de toutes les contrées de la Grèce ; tel ce Callistrate, qui, plaidant de la fameuse cause de la possession du territoire d’Orope en Eubée, fit à Démosthène déserter la parole de Platon et l’Académie ; tels furent Hypéride, Eschine, Andocide, Dinarque, et cet Antiphon de Rhamnonte, qui le premier des orateurs anciens mit à prix ses plaidoiries.

(6) On cite chez les Romains les noms également honorés des Rutilius, des Galba, des Scaurus, modèles de la pureté, du désintéressement, de la candeur antiques ; et plus tard, dans l’ordre des temps, les noms illustrés par le consulat, par la censure, par le triomphe, des Antoine, des Crassus, des Scaevola, des Philippe, et de bien d’autres encore. Les hommes qui portaient ces noms, après d’habiles et heureuses campagnes, des victoires gagnées, des trophées recueillis, voulaient encore mériter de la patrie dans les combats non moins glorieux de la tribune, unir sur leur front le laurier du forum au laurier des batailles, et conquérir l’immortalité à double titre.

(7) Après eux parut Cicéron, le prince de l’art oratoire, de qui la triomphante parole arracha tant d’innocents aux périls judiciaires. "On peut légitimement, disait-il, refuser à quelqu’un de le défendre : c’est un crime que de le défendre mollement."

(8) Mais aujourd’hui les tribunaux d’Orient sont infestés d’une espèce rapace et pernicieuse, peste des maisons opulentes, et qu’on dirait douée du nez des chiens de Sparte ou de Crète, pour dépister un procès et découvrir où gît un litige.

(9) On peut diviser ces gens- là en trois espèces. Je range dans la première ces fureteurs de chicane qui assiègent chaque audience, usent de leurs pas le seuil des maisons de veuves et d’orphelins, et qui du moindre germe de désaccord entre parents ou amis vont faire surgir un faisceau de haines. L’âge, qui refroidit toutes les passions, ne fait chez eux qu’accroître et fortifier cet instinct. Une vie de rapines cependant les laisse pauvres : ils l’ont consumée à surprendre par de captieux arguments la bonne foi des juges, ces organes de la justice, d’où ils tirent leur nom.

(10) Leur franchise est impudeur, leur constance obstination, leur talent vaine et creuse faconde. Cicéron a flétri par ces mots les embûches qu’ils tendent à la religion des juges "Dans une république, dit-il, rien qui demande plus de respects que la pureté des suffrages, des jugements ; et je ne conçois pas qu’on fasse un délit de la corruption pécuniaire, tandis que celle qui agit par l’art oratoire soit au contraire un mérite. Selon moi, la séduction par la parole est plus criminelle encore que par les présents. Près du sage, les offres échoueront toujours ; l’éloquence peut obtenir succès."

(11) La seconde espèce se compose de ces professeurs d’une science étouffée dès longtemps sous un chaos de lois discordantes ; gens dont la bouche semble cadenassée, qui sont tantôt silencieux comme leur ombre, et tantôt d’un sérieux étudié dans leurs réponses, débitées du ton d’un horoscope ou d’un oracle de la Sibylle. Tout en