Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/352

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oreilles, pour le moindre délit, à celle des cordons qui retiennent le bonnet. Cette aménité fit chérir sa domination sans la rendre moins respectable ; et les historiens grecs ont, comme à l’envi, rempli leurs livres de traits merveilleux de sa bonté. Dans la guerre des Samnites, le préteur de Préneste avait été trop lent à exécuter l’ordre de Papirius Cursor de venir le joindre, et cherchait à justifier son retard. Le dictateur fit signe au lecteur de tenir sa hache prête, ce qui coupa la parole au préteur au milieu de son apologie. Mais le chef supérieur se contenta de faire abattre un arbre qui se trouvait près de là. Cette plaisanterie, qui fut toute la punition d’une faute grave, n’amoindrit nullement le caractère du guerrier qui gagna tant de batailles, et qui était, au jugement de tous, le seul homme à opposer à Alexandre, au cas où le conquérant eût tourné ses pas vers l’Italie. Valentinien, peut-être, n’avait pas lu ces passages, ou ne se doutait pas de ce que peut une autorité douce pour le bonheur des sujets. Il ne connaissait d’autre justice que l’emploi du fer ou du feu ; remèdes extrêmes, et que l’antiquité, dans sa mansuétude, n’employait que dans les cas désespérés. Témoin cette belle pensée d’Isocrate, si fécond en enseignements : « Pour un prince il est plus pardonnable de s’être laissé vaincre, que d’ignorer ce qui est juste. » Et Cicéron en était inspiré sans doute quand il a dit avec tant de bonheur, en plaidant pour Oppius : « On s’est souvent honoré en exerçant un grand pouvoir dans l’intérêt d’autrui ; mais qui perdit jamais en considération pour s’être trouvé dans l’impuissance de nuire ? »

Une ardeur effrénée d’amasser de l’argent, n’importe par quelle voie, et de grossir son épargne au prix du sang de ses sujets, remplissait le cœur de Valentinien, et ne fit chez lui que s’accroître avec l’âge. On allègue, pour l’en justifier, l’exemple d’Aurélien, qui, trouvant le trésor épuisé après le règne lamentable de Gallien, fit main basse sans pitié sur les grandes fortunes. De même Valentinien, après la désastreuse expédition de Perse, manquant d’argent pour remplir les vides de l’armée et subvenir à ses dépenses, se hâta de recourir à des mesures d’exaction sanguinaire, feignant d’ignorer que ce qui est possible n’est pas toujours permis. Ce n’est pas ainsi que pensait Thémistocle, qui, parcourant le champ de bataille après la grande défaite des Perses, et voyant à terre un bracelet d’or et un collier d’or, dit à l’un de ceux qui l’accompagnaient, avec ce mépris du gain qui est le propre des belles âmes : « Ramassez cela, vous qui n’êtes pas Thémistocle. » La vie des généraux romains abonde en traits d’un désintéressement semblable. Je les passe sous silence, comme ne constituant pas des actes de vertu : on n’est pas vertueux pour ne pas s’approprier le bien d’autrui. Mais je veux citer un fait qui prouve l’honnêteté du peuple d’autrefois. Au temps où Marius et Cinna livraient au pillage les maisons des riches proscrits, la basse classe, ignorante, mais capable de comprendre les sentiments d’humanité, respecta ce que d’autres avaient acquis à la sueur de leur front. Il ne se trouva pas un pauvre, pas un mendiant, qui se crût autorisé à profiter du malheur de l’époque, en portant la main sur ces dépouilles.