Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/70

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d’observation oü ils étaient placés. Ce ne fut pas tout. Le lâche Barbation, détracteur obstiné de la gloire de Julien, dans la conscience du tort qu’il venait de faire à l’État (car c’était de lui-même qu’émanait le contre-ordre, ainsi que l’a depuis confessé Cella quand on lui reprochait sa trahison), Barbation, disons-nous, s’empressa de faire tenir à Constance un rapport mensonger, où il prétendit que les deux tribuns étaient venus, sous prétexte d’un service commandé, chercher à débaucher ses soldats. Il n’en fallut pas davantage pour les faire destituer et renvoyer chez eux l’un et l’autre.

Cependant l’approche des deux armées avait jeté l’effroi dans la population barbare établie sur la rive gauche du Rhin. Une partie essaya, par d’immenses abatis d’arbres, d’intercepter toutes les routes sur les points les plus montueux et les plus difficiles. Le reste, réfugié dans les îles nombreuses dont le cours du fleuve est parsemé, hurlait contre César et contre nos troupes les plus sinistres malédictions. Julien, irrité, voulut se saisir de quelques-uns de ces misérables, et fit, à cet effet, demander à Barbation sept barques, sur un certain nombre qu’il avait réuni pour la destination éventuelle d’un pont de bateaux sur le Rhin. Mais celui-ci, qui ne voulait être à Julien d’aucun secours, aima mieux les faire brûler toutes. A la fin, des coureurs ennemis tombés au pouvoir de Julien lui indiquèrent un point du fleuve que la sécheresse avait rendu guéable. Il réunit aussitôt les vélites auxiliaires, et, après quelques mots d’exhortation, les envoie sous la conduite de Bainobaude, tribun des Cornutes, tenter un fait d’armes mémorable. Ceux-ci, partie marchant dans l’eau, partie s’aidant de leurs boucliers en guise d’esquifs, quand ils cessaient de trouver pied, abordèrent à l’île la plus voisine, et y massacrèrent tout, sans distinction de sexe ni d’âge. Là, trouvant des barques sans maîtres, ils s’y entassent au risque de les faire chavirer, et parcourent ainsi le plus grand nombre de ces retraites. Quand ils furent las de tuer, ils s’en retournèrent tous sains et saufs, et chargés d’unbutin considérable, dont ils durent cependant abandonner au fleuve une partie. La population germaine des autres îles, ne s’y croyant plus en sûreté, gagna l’autre rive, emmenant avec soi femmes, enfants, et jusqu’aux provisions.

Julien s’occupa ensuite à relever le fort des Trois Tavernes[1], que l’opiniâtreté des barbares avait fini par emporter et par détruire, et dont le rétablissement allait imposer un frein à leurs continuelles incursions dans les Gaules. Il mit à terminer les ouvrages moins de temps qu’il n’espérait lui-même, et laissa à la garnison des vivres pour un an. A cet effet, il fallut faire main basse sur le grain semé par l’ennemi, non sans crainte de l’avoir sur les bras durant l’opération. Cette récolte fournit en outre à Julien le moyen d’approvisionner sa troupe pour vingt jours. Le soldat gagnait ainsi ses rations à la pointe de l’épée ; et sa satisfaction en était d’autant plus vive, qu’il venait d’être frustré d’un convoi qui lui était destiné. Barbation, qui avait rencontré ce convoi en route, en avait d’autorité pris tout ce qui était à sa convenance, faisant brûler le reste en un monceau. Était-ce chez lui bravade ou démence ? De pareils actes, trop souvent répétés,

  1. Saverne.