Page:Margueritte - À la mer, 1906.djvu/34

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ongles et casser deux boutons dessus en tirant la langue d’un étranglé. Puis il affirma l’intention de mettre uni pardessus neuf, que sa mère jugea trop léger pour le soir ; il s’enrhumerait certainement.

— Eh bien, je m’enrhumerai, — dit Albert, — mais au moins, je ne serai pas ridicule ! »

Le grand mot était lâché ; il abominait le vieux pardessus en gros drap que sa mère, voulait lui voir mettre ; il se reprochait de contracter dedans l’allure d’un vieux notaire, et il s’y sentait contraint au point de n’oser y faire un geste, de s’y promener, et bien malgré lui, dans l’attitude raide d’un mannequin de bois. Il n’y avait sorte de ruses et de perfidies auxquelles il n’eût recouru pour vieillir prématurément et rendre hors de service ce vêtement. Tantôt il l’exposait sur l’appui de la fenêtre, à la pluie battante ; tantôt il en laissait pendre une manche dans le feu, d’autres fois il répandait dessus d’inexpugnables corps gras, déchirait la doublure, lacérait les poches ; et toujours, par une magie, il retrouvait les taches enlevées, les fentes recousues, l’étoffe brossée jusqu’à l’âme : râpé, retapé, invalide, mais robuste, le vieux pardessus se refusait à mourir ; aussi Albert le détestait-il à l’égal d’un être vivant.