Page:Margueritte - À la mer, 1906.djvu/85

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de se ressaisir et de se concentrer en soi-même comme un homme.

Il marchait vite et sans regarder les gens, oubliant sa timidité vaniteuse et sa ridicule préoccupation de l’effet qu’il pouvait produire : un sentier s’ouvrit devant lui, hors du village, qui grimpait sur la falaise. Il s’y engagea. Le ciel du matin était d’un bleu pâle et âpre, le vent cuisait, et le soleil ne chauffait pas ; mais une telle splendeur claire émanait des choses qu’une joie, fraîche et pure, prenait le cœur. Albert, comme s’il goûtait encore le souvenir d’un fruit bizarre et délicieux, nuancé d’amertume, remâchait l’indicible sensation de sa courte, trop courte aventure sans espoir avec Gabrielle.

Il se sentait émancipé, grandi, virilisé sans doute ce départ, et ce qu’il tuait d’espoirs imaginaires, l’irritait et l’affligeait ; mais l’avenir, le mystère du possible restait, en dépit de la déclaration vertueuse de Gabrielle, intactes et réservées. Il s’imaginait, en une sorte de rêve bizarre éveillé, ce qui aurait pu être, hier au soir, ce qui serait peut-être un jour, il se repaissait d’images et de mots voluptueux, à défaut de réalités, sans songer